Harcèlement en ligne des journalistes : une nouvelle menace

Avr 4, 2019 | Articles, IJF19 | 0 commentaires

Le pouvoir des trolls prend de plus en plus d’importance sur internet. Et les journalistes en font aussi les frais. Certains sont contraints de quitter leur pays, notamment quand les gouvernements sont complices de leur harcèlement.

Blanche PONCHON

« C’est le prix que nous payons pour le journalisme que nous voulons faire » affirme Rana Ayyub. Cette journaliste d’investigation indienne a été forcée de quitter son pays après avoir été la cible de campagnes d’intimidation de la part de trolls. Un harcèlement survenu après une enquête sur la corruption du gouvernement indien. Faire taire les journalistes dont les propos politiques dérangent, c’est un phénomène qui prend progressivement de l’ampleur sur internet. A travers des campagnes d’intimidation, des montages photos diffusés sur les réseaux sociaux, les trolls entretiennent un climat de terreur chez les journalistes et les forcent parfois au silence.

La complicité des gouvernements

Dans certains pays, les gouvernements dirigent ou inspirent les campagnes de harcèlement à l’égard des journalistes. Daphné Caruana Galizia enquêtait sur des affaires de corruption dans son pays avant d’être assassinée en octobre 2018. « Nous avons découvert qu’il existait sur Facebook des groupes de haine à son égard et que dans ces groupes il y avait des membres du  gouvernement » affirme Caroline Muscat, journaliste maltaise et cofondatrice de Shiftnews, plateforme indépendante d’investigation. Face à l’implication du gouvernement dans la mort de Daphné Caruana Galizia, Caroline Muscat poursuit son combat en enquêtant et en refusant de se taire : « Elle était la dernière voix indépendante du pays et on l’a tuée » se désole-t-elle. Dans un certain nombre de régimes autoritaires, le gouvernement a ainsi la mainmise sur les journalistes et leurs enquêtes.

Répercussions sur la vie des journalistes

Les conséquences du harcèlement sont d’abord psychologiques. En ligne comme hors ligne, il change considérablement la vie des journalistes victimes, comme le confirme Caroline Muscat « Il est très compliqué de mener une vie normale, nous avons un sentiment de peur constant, même au supermarché.» Selon le Guide français de la lutte contre les cyber violences, relayé par Reporters sans frontières, « les phénomènes de viralité renforcent encore davantage la violence subie, le sentiment d’humiliation et la détresse des victimes ». Un mécanisme qui s’apparente tout à fait à celui dont les journalistes sont victimes.

Des pistes de solutions encore floues

Comment faire face ? D’abord en restant soudés,  selon Caroline Muscat : « Il est important de renforcer notre solidarité entre journalistes et de lutter tous ensemble ». Pour Courtney Radisch, directrice d’Advocacy, comité américain de protection des journalistes, les issues semblent peu nombreuses : « Je ne suis pas du tout optimiste, c’est la pire situation que nous ayons jamais vécue ». Depuis 2011 et les Printemps Arabes, les journalistes ne disposent plus de la même sécurité ni de la même liberté d’expression qu’auparavant. Mais trouver des solutions efficaces est une priorité pour Advocacy. Réguler les services comme Facebook et Twitter semble être la première d’entre elles pour lutter contre le harcèlement des journalistes. Le modèle actuel de ces plateformes encourage en effet le déferlement de haine et de commentaires destructeurs. Mais c’est aussi au pouvoir de réagir : « Il est nécessaire que le pouvoir législatif interdise les campagnes de désinformation sur les réseaux sociaux » explique t-elle. C’est d’ailleurs ce que rappelle Reporters sans frontières dans son dernier rapport sur le harcèlement en ligne des journalistes  : « Les Etats doivent renforcer les obligations qui s’imposent aux plateformes ».