Les données au service de l’empowerment citoyen

Avr 4, 2019 | Articles, Articles à la une / slider, IJF19 | 0 commentaires

L’un est chercheur indépendant, l’autre est spécialiste en data-journalisme. Abdulwahab Tahhan et Jacopo Ottaviani intervenaient tous les deux lors de la XIIIe édition du Festival international de journalisme de Pérouse, en Italie, du 3 au 7 avril.  Leurs travaux questionnent le lien de plus en plus étroit entre numérique et défense des droits de l’homme.

Louise SAUBADE

Arrivé en France dans les années 2000, le terme d’empowerment n’a pas d’équivalent français. Il désigne un processus par lequel une personne ou un groupe acquiert la capacité d’user de la plénitude de ses droits et s’affranchit d’une dépendance sociale, morale ou politique.

Au nom de cet empowerment, des organisations, journalistes et chercheurs utilisent de plus en plus le numérique pour sensibiliser aux droits fondamentaux et informer citoyens et politiques. Ces dispositifs numériques destinés à renforcer la
démocratie sont parfois qualifiés de « civic tech » (abréviation de civic technology). Différents procédés, outils et technologies visent ainsi à transformer les institutions politiques et sociales. C’est dans dans cette lignée que s’inscrit l’organisation Code for Africa.

Améliorer la démocratie

Jacopo Ottaviani coordonne des programmes de data-journalisme chez Code for Africa, une « organisation à but non lucratif, qui travaille à l’intersection entre médias, technologie et données ». Il développe ainsi des outils numériques pour les médias et les citoyens.

À l’initiative du Centre international des journalistes (ICFJ), Code for Africa est la plus grande fédération de laboratoires de journalisme de données et de technologie civique du continent. Elle travaille principalement au Kenya, au Nigeria, en Tanzanie, en Ouganda et en Afrique du Sud.

De l’analyse des données à la sécurité numérique, elle propose aux professionnels et aux étudiants des formations pour utiliser et interpréter correctement les ressources du data-journalisme. Elle soutient également le développement de solutions axées sur les citoyens, avec notamment GoToVote, un outil numérique pour faire savoir aux populations où et comment voter. « C’est un outil pour améliorer la démocratie à travers la technologie », résume Jacopo Ottaviani.

Faire la lumière sur les victimes civiles

Le travail de Abdulwahab Tahhan, chercheur indépendant réfugié vivant au Royaume-Uni, se concentre sur les reportages dans les médias abordant la thématique des victimes civiles et des problèmes liés aux réfugiés. Il était jusqu’à la semaine dernière chercheur principal sur la Syrie pour l’ONG Airwars.

Basée à Londres, elle comptabilise le nombre de victimes civiles causées par les frappes aériennes menées par la coalition internationale, la Russie et la Turquie, au cours de la guerre
civile syrienne et de la seconde guerre confessionnelle irakienne. « Nous collectons des documents, des vidéos, des photos, des témoignages, détaille le chercheur. Quand la coalition internationale ou la Russie se défend d’avoir tué quelqu’un, nous pouvons prouver le contraire. » Ce travail de terrain est mené conjointement par des journalistes et des chercheurs. Grâce à des partenariats avec de grandes agences de presse, les enquêteurs publient des rapports détaillés sur les dommages causés aux civils.

Mieux comprendre les migrations

En 2014, Jacopo Ottaviani remporte le Data Journalism Award avec The Migrants’s Files, un projet transfrontalier mettant en lumière de nouvelles données sur les migrants qui tentent de rejoindre l’Europe. Selon son fondateur, l’objectif est « de collecter et combiner de multiples données au sujet des migrations, à la fois pour comptabiliser les morts dans la Méditerranée, mais aussi pour connaître comment et où l’Union européenne dépense de l’argent pour contrer l’immigration ». Et les résultats sont édifiants.

Selon cette enquête, les réfugiés et les migrants consacrent prés d’un milliard d’euros par an pour rejoindre l’Europe. Un montant similaire à celui que dépense l’UE pour les empêcher d’entrer. Le décompte des victimes – qui s’élève, selon The Migrant’s Files, à prés de 30 000 morts depuis l’an 2000 – permet d’évaluer les effets des politiques européennes.

Raconter des histoires humaines

Mais Jacopo Ottaviani ne se limite pas seulement à rapporter des données brutes. Il s’attache à construire
des récits autour des chiffres et à retranscrire des émotions autour des faits. « Quand on se lance dans un
projet journalistique de la sorte, il est très important de garder en tête que l’on parle d’histoires humaines,
souligne-t-il. Pour créer de l’empathie chez les lecteurs, il faut combiner ces données avec des vidéos, des
récits, des portraits, qui laissent entendre aux gens que derrière les statistiques, il y a des histoires
d’hommes et de femmes. »

Le risque, assure-t-il, c’est de créer chez le lecteur un effet de refoulement.
Soit tout le contraire de l’objectif de The Migrants’ Files, qui vise en premier lieu à une meilleure
compréhension du sujet, tant civile que politique.