47 % des journalistes sont des femmes, mais ces dernières sont peu présentes sur les terrains de conflits. Entre invisibilisation, surprotection, et harcèlement en ligne, être grande reporter de guerre demande de faire face à de nombreuses difficultés, mais peut parfois être un atout.

Par Tyfenn Desloges

« En tant que journaliste, sur le terrain de guerre, on ne pense pas assez aux processus de paix », souligne Mélina Huet, lors d’une conférence au Festival international de journalisme de Pérouse (Italie), le 18 avril 2024 – Crédits : Andrea di Valvasone pour IFJ24

« Sur les terrains de conflits, quand on pense aux femmes, on pense à elles en tant que victimes », raconte Annette Young, ancienne correspondante à Jérusalem, et animatrice d’une table ronde sur le prisme du genre dans le traitement des conflits lors du Festival International du Journalisme à Pérouse. Encore grandement invisibilisées, les femmes sont peu présentes dans les zones de conflits. Souvent, les rédactions sont plus réticentes à les envoyer sur le terrain, pour les protéger. Certaines craignent également que les journalistes tombent enceintes et désertent le terrain. Pour devenir reporter de guerre, les femmes ont souvent plus de choses à prouver que les hommes. Mélina Huet, grande reporter pour France 24, raconte : « Une fois, un chef de la sécurité d’un grand média privé français a voulu nous protéger, et nous expliquait les risques sur une zone de guerre alors qu’on couvrait des zones de conflits depuis des années. Il y a un biais sur la manière dont les femmes sont sur les zones de guerre. » 

« Un troisième sexe »

Pourtant, dans les faits, les femmes présentes dans les zones de conflits ne se sentent pas particulièrement plus en danger que les hommes. « Oui, quand on est une femme journaliste, on est très visible et on court des risques, mais quand on est un journaliste occidental en général aussi, on peut être utilisé en monnaie d’échange. » témoigne Mélina Huet. Parfois, être une femme est même un atout, notamment vis-à-vis d’autres femmes, car cela écarte la méfiance, et permet d’avoir accès à des zones qui restent fermées aux hommes. Ce privilège est d’autant plus valable pour les femmes européennes présentes au Moyen-Orient. Annette Young voit dans ce phénomène, l’apparition d’un « troisième
sexe ». « C’est souvent plus facile pour nous que dans l’autre sens. En tant que femmes, on peut parler aux autres femmes. En tant qu’occidentales, on peut aussi entrer dans des cercles auxquels les femmes de la même nationalité que nos interviewés n’ont pas accès », confirme Mélina Huet. Beaucoup de reporters attestent aussi du fait qu’une fois sur le terrain, la caméra ou les outils de reportage gomment toutes les différences de genre. « Lorsque, toutefois, être une femme devient un stigmate, il suffit d’en jouer », sourit la grande reporter. Elle raconte en effet qu’elle profite parfois d’être prise pour une ignorante car les hommes, souvent des soldats, ne se méfient pas.

Des menaces différentes et multiples qui demeurent

Toutefois, ce « troisième sexe » ne garantit pas une parfaite sécurité aux reporters. Toutes ont conscience d’être des potentielles proies. A Jérusalem, Annette Young s’est par exemple retrouvée avec une journaliste danoise au milieu d’un groupe d’hommes israéliens qui célébrait un désengagement et a encerclé les deux femmes en tentant de les toucher. C’est leur fixeur, un « homme costaud » qui les a sorties de cette situation. « Il faut être très vigilante. Nous faisons attention en permanence », raconte-t-elle, « mais cela est valable aussi en dehors des zones de guerre. Nous avons intériorisé le fait qu’une femme seule doit faire attention. ». La norme chez les journalistes de guerre est d’intérioriser les tensions et les potentiels risques encourus. On le remarque également dans la manière de faire face à la misogynie et à la haine en ligne. Selon l’UNESCO, 70 % des journalistes femmes ont déjà subi de la haine en ligne. Annette Young et Mélina Huet reçoivent toutes les deux régulièrement des menaces de mort. Pourtant, lors de la conférence sur les outils pour garantir la protection des journalistes face à la haine en ligne, organisée par l’OSCE à Pérouse, les chercheuses déploraient le fait que les signalements étaient trop peu nombreux. « On a fini par intégrer que c’était normal parce qu’on est des femmes et qu’on est des journalistes », raconte Mélina Huet.

Mais l’intégration de cette misogynie est le résultat d’une éducation bien ancrée que la plupart d’entre elles peinent à déconstruire. Dans les rédactions, aussi, les rédacteurs en chef doivent prendre conscience qu’être femme et journaliste de guerre représente un atout et non un frein. Rien de naturel pour Mélina Huet mais « la façon dont on nous éduque et le fait qu’on nous apprend très tôt à écouter les émotions des autres, fait que, dans notre travail, on est plus conditionnées à être dans l’empathie. On est souvent plus dans la sincérité avec les personnes et dans l’immense majorité, le fait d’être femme fait qu’on a un rapport différent aux gens », souligne la grande reporter. Toutes les conférencières sont unanimes, les zones de conflits ont beaucoup à gagner à donner plus de place aux femmes et à faire disparaître le prisme du genre comme un outil pertinent d’analyse de la profession.

Infographie de la répartition des femmes dans les rédactions. Source : Rapport annuel 2020-2021
sur l’état du sexisme en France – Haut Conseil à l’Egalité entre les Femmes et les Hommes