Les médias, otages des GAFA ?

Avr 4, 2019 | Articles, Articles à la une / slider, IJF19 | 0 commentaires

Les grandes entreprises technologiques telles que Google et Facebook, très présentes au Festival International du Journalisme de Pérouse, financent largement l’innovation des médias. Ces investissements sont un puissant outil de soft power, obligeant les journalistes à composer avec le pouvoir de la Big Tech.

Margaux SIEFFERT

La Big Tech est le nom utilisé pour décrire les quatre sociétés multinationales de technologie : Google, Amazon, Facebook et Apple. Les GAFA sont à la fois les principaux acteurs et les plus grands bénéficiaires du marketing numérique. Facebook et Google captent ainsi, en France, 78% des revenus de la publicité en ligne. Cette domination s’explique par la masse de données recueillies par ces deux entreprises. Par conséquent, le chiffre d’affaires des médias traditionnels baisse et, mécaniquement, leur dépendance aux GAFA augmente.

Google a versé 150 millions d’euros aux médias entre 2016 et 2019

Alexandra Borchardt, ancienne rédactrice en chef du Süddeutsche Zeitung, premier quotidien allemand, et vice présidente du « Comité d’experts du Conseil de l’Europe sur le journalisme de qualité à l’ère numérique », témoigne : « Les médias sont dans une situation financière difficile. Ils ont besoin d’aide, mais sont dépendants des ressources des Big Tech. Leur business est malheureusement lié à ces compagnies ». Google le prouve d’ailleurs, en ayant versé 150 millions d’euros aux médias entre 2016 et 2019, via son Digital News Innovation Fund, en affichant une volonté d’aider le journalisme à prospérer à l’ère numérique.

Les médias en sont conscients : moins de revenus signifierait un modèle d’affaire à réviser, un contenu de moindre qualité et une indépendance des journalistes fragilisée. De quoi transformer Google en partenaire média et construire un écosystème de dépendance des rédactions à la firme. Selon Adrienne Fichter, rédactrice en chef pour Republik Magazin, spécialisée en technologie et médias sociaux : « Il est simple d’avoir de l’argent de Google, mais les reporters sont inquiets. Ils ont peur que le contenu éditorial soit bouleversé ».

Contre les GAFA, les médias s’allient

D’après les experts présents ce jeudi à Perugia pour le panel sur l’impact de la Big Tech, les GAFA se caractérisent par une « transparence opaque » : un mélange de sur-communication sur la transparence de la firme et d’opacité dans la gestion de leur relation aux médias. Ces derniers comptent bien faire leur possible pour s’en détacher. « Le tout est de penser à notre réputation. L’indépendance est fantastique, donc si nous pouvons refuser les fonds des Big Tech, il faut le faire », affirme Alexandra Borchardt. Une des solutions réside alors dans le fait de concurrencer ces entreprises technologiques, notamment en formant des alliances. Ingo Dachwitz, journaliste berlinois pour Netzpolitik et spécialisé en technologie, prend en exemple l’offre groupée Verimi : « c’est une alliance allemande, composée notamment d’Axel Springer, Lufthansa et Deutsche Telecom. Grâce à elle, le client a accès à l’ensemble des services des membres, ses données sont sécurisées et c’est lui qui décide de la donnée qui sera monétisée », explique-t-il.

Et la France n’est pas en reste. Avec J’aime l’Info, une plateforme de dons pour soutenir la presse en ligne, les lecteurs peuvent marquer leur attachement à des sites d’information de référence tout en contribuant directement à leur financement et au développement d’une presse indépendante et de qualité. La Presse Libre, un site pensé par Next INpact et Arrêt sur Images, propose également cette formule. Une stratégie alliant sécurité, qualité d’informations et transparence de la mesure d’audience : tout le contraire des GAFA, en somme. « Il existe un déficit de financement pour l’innovation dans les médias, mais faire équipe avec les grandes technologies n’est pas une solution solide », conclut Ingo Dachwitz.