Réseaux sociaux, sources des journalistes

Juil 4, 2018 | Articles à la une / slider, IJF18 | 0 commentaires

Les réseaux sociaux sont fréquemment employés par les journalistes pour trouver les données ou les sources de leurs articles et enquêtes. Comment travaillent-ils avec ce support, a priori éloigné de la réalité du terrain ?

Lysandra Chadefaux

« Appel à témoignage : en tant qu’homme, qu’a changé pour vous le mouvement de libération de la parole des femmes ? » pouvait-t-on lire sur le compte Twitter du Monde.fr le 17 janvier 2018. Ce média de référence français fait régulièrement appel à sa « communauté » sur Facebook ou sur Twitter pour recueillir des témoignages destinés à alimenter les articles. La personne souhaitant témoigner est renvoyée sur le site du Monde pour y remplir un formulaire où elle peut livrer son récit. Cette pratique n’est pas rare, de plus en plus nombreux sont les journalistes à travers le monde à utiliser les réseaux sociaux comme sources de témoignages.

La page du Monde recueillant les témoignages de lectrices et de lecteurs.

 

Vérifier ses sources

Pour se servir d’informations issues des réseaux sociaux, les journalistes doivent s’assurer de leur véracité. Cette tâche s’est notamment développée au sein des agences de presse. Mandy Jenkins est rédactrice en chef de l’agence de presse Storyful. Cette agence fournit du contenu vidéo issu des réseaux sociaux à des abonnés tels que The Washington Post, The Wall Street Journal ou ABC Australia, lesquels peuvent ensuite le publier.

Pour proposer ce contenu, les journalistes de Storyful doivent contacter ceux qui diffusent les vidéos en ligne : « Pour identifier l’auteur d’une vidéo, nous devons trouver un moyen de le contacter et de vérifier les informations qui y sont présentes. » Ce processus de vérification à distance passe par une prise de contact avec les internautes par le biais des réseaux sociaux ou par téléphone. Ensuite, ils doivent obtenir leur autorisation pour la diffusion : « Parfois ils acceptent, parfois nous devons payer pour ces vidéos et parfois ils refusent. »

L’Agence France-Presse trouve elle aussi du contenu sur les réseaux sociaux. Dans une interview accordée à Ina Global, le 28 mars 2018, Grégoire Lemarchand, rédacteur en chef adjoint et responsable de la cellule réseaux sociaux de l’AFP, raconte le processus de récupération de contenus amateurs par les journalistes : « Il y a énormément de contenus sur les réseaux sociaux (photos, vidéos, témoignages) qu’il faut trouver, vérifier, authentifier puis récupérer pour pouvoir les diffuser sur notre fil AFP. »

Pour mieux expliquer ce procédé, Mandy Jenkins prend l’exemple récent d’une fusillade dans une école aux États-Unis. Des élèves de l’école diffusaient sur leurs comptes Snapchat des vidéos où l’on pouvait voir ce qui se passait autour d’eux. La rédactrice en chef se rappelle l’étape de vérification : « Nous avons pu facilement vérifier ces vidéos car Snapchat utilise un système de localisation, puis nous avons comparé ce que nous voyions sur ces images aux photos de l’école disponibles sur le web ». Si les caractéristiques de Snapchat ont permis dans ce cas de faciliter la tâche des journalistes, ce processus a ses limites : « Nous ne pouvons pas empêcher quelqu’un de mentir sur une vidéo, il y a eu quelques erreurs dans le passé, mais nous mettons tout en œuvre pour que cela ne se reproduise pas ».

Des outils adaptés

Storyful, comme d’autres médias, utilise des outils comme CrowdTangle ou Picodash pour récolter les données issues des réseaux sociaux. CrowdTangle est un outil développé par Facebook pour analyser l’engagement de l’audience sur les réseaux sociaux. Et sur Instagram, Picodash permet d’identifier toutes les publications liées à un événement ou à une localisation.

Outre la vérification que permettent ces outils, ils participent aussi à recueillir des données pour mener à bien une enquête. Lors du Festival de journalisme de Pérouse, Craig Silverman, rédacteur en chef de la rubrique médias chez BuzzFeed News, a présenté les outils dont il se sert quotidiennement dans son travail (liste complète disponible ici). Le journaliste utilise CrowdTangle pour se parer contre la désinformation présente sur les réseaux sociaux ou encore Tin Eye Reverse Search pour retrouver l’origine d’une photographie. Autre exemple, le site Follerme.fr peut analyser le compte de n’importe quel membre de Twitter en entrant simplement son pseudo. Le site rassemble ensuite les informations liées à un compte au travers de rubriques telles que « Thèmes, hastags et mentions » ou « Période » qui mentionne l’heure à laquelle un utilisateur se connecte le plus.

La page qui s’affiche lorsque j’interroge foller.me sur mon activité sur Twitter.

 

L’an dernier, des rédactions françaises, telles que celles de Ouest-France ou LCI, ont participé au projet CrossCheck. Le but de ce projet était de détecter les fake news qui circulaient sur le web sur la campagne présidentielle française. CrowdTangle leur a permis d’identifier et de neutraliser celles qui commençaient à prendre de l’ampleur sur les réseaux sociaux.

Selon Craig Silverman, un journaliste doit sans cesse s’interroger sur ce qu’il voit sur les réseaux sociaux ou sur le web. Toutes ces données permettent d’alimenter de véritables enquêtes, de raconter des histoires à partir d’une fouille méthodique de la toile. Mais selon lui, tous les journalistes « doivent avoir un minimum de compétences en matière de vérification de l’information sur internet, pour travailler et enquêter dessus. »

 

Pour aller plus loin :

La liste d’outils web de Craig Silverman, rédacteur en chef de Buzzfeed UK.

Interview de Craig Silverman sur son utilisation de CrowdTangle pour enquêter.

Interview de Grégoire Lemarchand, rédacteur en chef adjoint et responsable de la cellule réseaux sociaux à l’AFP.

Présentation du projet CrossCheck.