Récupérer l’information au plus près de la population, grâce aux journalistes locaux ukrainiens, c’est certainement la solution pour permettre une couverture médiatique optimale du conflit à l’international. C’est le constat que font plusieurs spécialistes des médias ukrainiens à l’occasion d’une conférence au festival international du journalisme de Pérouse.

Conférence à l’occasion du festival international du journalisme à Pérouse sur le rôle des médias locaux ukrainiens
dans la couverture de la guerre en Ukraine: Photo Budka Bohdan

Dès les premiers jours de l’invasion de l’Ukraine, la Russie a massivement ciblé les tours de communication à travers le pays. L’objectif était de priver l’accès à l’information aux populations bloquées en territoires occupés. Ainsi, le gouvernement russe a pu s’assurer un monopole médiatique stratégique, en créant une zone opaque à la diffusion de programmes ukrainiens et occidentaux. Ce problème de taille a pu être contourné grâce au riche paysage journalistique ukrainien, offrant une mosaïque de quelque 1479 organes journalistiques (octobre 2023) sur lesquels ont pu s’appuyer les médias internationaux.

À la guerre des hommes, s’ajoute celle de l’information

L’intensification des combats et l’occupation de nombreuses villes dans lesquelles était basé un grand nombre de journaux a freiné cette liberté d’information. Olga Myrovych, expert média, était à Kherson durant les premiers mois de l’invasion. « Une poignée de journalistes est restée couvrir les événements au plus près des zones de combat. Les journalistes partageaient leur matériel pour maintenir l’activité des différents journaux. Certains mettaient à disposition un véhicule, d’autres des outils techniques. »

Afin de préserver la médiatisation de cette guerre ouverte, le développement et le financement de nouveaux médias locaux dans les territoires libres comme occupés est primordial. En pleine transformation, ils garantissent une liberté journalistique en temps de guerre permettant une indépendance à l’égard de la communication des différents gouvernements. L’occasion pour le journalisme ukrainien d’entrer dans une nouvelle ère et de se détacher des pratiques post-soviétiques, très éloignées du fonctionnement médiatique occidental.

C’est le combat qu’a décidé de mener Lera Lauda, directrice de l’agence ukrainienne ABO à Kyiv. La mission de son organisation est de relancer le marché des médias locaux et de niche en le numérisant, en élevant le niveau professionnel des journalistes et en optimisant les modèles d’entreprise. « Notre objectif était vraiment de couvrir le conflit et l’actualité ukrainienne en général. Nous travaillons avec une soixantaine de médias, dont certains sont désormais très populaires. Nous pouvons disposer d’une totale liberté journalistique, car les journalistes ayant fui leurs villes à cause de l’occupation continuent de travailler grâce à Internet et des sources anonymes sur place. »

Carte des nouveaux médias membres du réseau ABO, couvrant la majorité du territoire ukrainien.

Cette multiplicité de sources de presse permet une couverture généralisée du pays. « Il est très important de raconter les histoires des personnes qui ont fui les combats, des militaires ou encore des personnes encore en territoires occupés. Ce sont ces histoires qui sont reprises à l’international. »

Malgré la mise en place de ce type de projets, un grand nombre de médias ont fermé à travers le pays, plongeant les journalistes dans une grande précarité. Pendant plus de deux ans, il existait un marathon télévisé où les chaînes organisaient un relais de l’information continu. Une initiative de l’État arrêtée récemment. Yuliana Okhotnik, journaliste pour TvoeMisto, constate l’implosion actuelle de nombreuses chaînes : « Cela garantit l’autonomie des médias vis-à-vis du gouvernement, le problème est que le public s’y était habitué. Depuis la fin du “marathon”, les gens regardent beaucoup moins les chaînes d’informations de moyenne audience et se tournent vers les plus populaires. En conséquence, un nombre important de journalistes quitte les rédactions, car elles ne peuvent plus les payer et se lancent sur les réseaux sociaux. »

« Même en temps de guerre, il est nécessaire d’opter pour un développement à long terme »

Cette tendance s’explique par une gestion déséquilibrée des donations d’aide au développement des médias venues de l’occident. Joanna Krawczyk, spécialiste dans le développement médiatique, dénonce le manque de pertinence dans les sommes accordées aux organes journalistiques : « L’argent doit être investi avec précision. Actuellement, des médias qui n’ont aucun problème d’audience et de développement reçoivent les mêmes sommes que des plus petits en pleine évolution. »

Un phénomène qu’elle lie au manque de connaissance et de considération des milieux journalistiques occidentaux envers leurs confrères ukrainiens : « Il faut arrêter de les percevoir uniquement comme des journalistes que l’on aide à se développer, mais réellement prendre en compte leurs expériences et leur expertise. Ce sont des gens qui ont été capables de poursuivre des diffusions télévisées sous les bombardements. » Selon elle, pour un financement efficace, il faut prendre en considération ces nombreux facteurs et ne pas privilégier certains médias ou régions : « Même en temps de guerre, il est nécessaire d’opter pour un développement à long terme. »