Dans un paysage médiatique où l’image est omniprésente, le Festival international de journalisme de Pérouse revenait vendredi 19 avril sur le rôle des professionnels qui documentent les conflits armés. À la fois preuves historiques, instruments d’une meilleurs compréhension entre les peuples, la photographie de guerre est cependant constamment menacée par la manipulation.

Par François-Régis Couteau

Les intervenants de la conférence « The art of war reporting » réunis au Festival international de journalisme de Pérouse (Ombrie, Italie), le vendredi 19 avril 2024, Crédit : Gabriel Upravan.

« Même si les images qui sont capturées n’ont pas immédiatement une influence, il est absolument vital […] de continuer à documenter toutes ces affaires. » Dans le magnifique auditorium San Fransesco, aménagé dans une ancienne église du XIIIe siècle, Jodie Ginsberg insiste une nouvelle fois sur l’importance du travail des reporters de guerre. Présidente du Comité pour la protection des journalistes, elle ne connaît que trop bien les difficultés rencontrées par les journalistes chargés de couvrir des conflits armés.

« Personne ne peut dire que cela n’est jamais arrivé. »

Ils sont trois reporters de guerre présents dans la salle, vendredi 19 février 2024, à l’occasion du XVIIIe Festival international de journalisme de Pérouse (Ombrie, Italie), parmi lesquels le photojournaliste Ron Haviv qui a notamment photographié des témoignages des massacres commis en Bosnie-Herzégovine entre 1992 et 1995. Après le récit du reporter, la correspondante américaine Janine Di Giovanni résumait ainsi une utilité du photojournalisme : « Cela revient à réunir des preuves. Personne ne peut dire que cela n’est jamais arrivé ! »

Cependant, les photographies n’ont pas seulement un intérêt pour la constitution d’archives : le journaliste peut contribuer à la compréhension d’un conflit contemporain. En effet, les clichés pris dans les zones de guerre peuvent toucher les opinions publiques. « Le métier de journaliste consiste à donner au public le sens de l’empathie et la capacité à comprendre l’autre », confie Ron Haviv. « Une photo peut-elle cependant arrêter la guerre ? », se demandaient les participants d’un podcast de France Culture en juillet 2021[1]. On peut en douter mais on peut aussi inverser le questionnement : « On peut se demander s’il n’y avait pas eu de presse, pas eu de journalistes à Sarajevo […] qu’est-ce qu’il se serait passé ? Peut-être que les Serbes seraient descendus dans la ville et auraient tué tout le monde », s’interroge dans la même émission le photojournaliste belge Laurent Van Der Stockt.

Des photoreporters de moins en moins libres de leurs mouvements

Si les images peuvent servir d’éléments de preuve, elles peuvent aussi être trompeuses. « Il y aura toujours des images qui peuvent donner des informations ou impressions contraires à ce qui se passe vraiment. », rappelle le même Laurent Van Der Stockt. Les photographies ne livrent en effet qu’un point de vue particulier et le journaliste doit estimer si elles livrent une juste illustration de la situation générale telle qu’il l’a comprise. Or, il est de plus en plus difficile pour un journaliste d’être libre de ses mouvements. Durant la guerre du Vietnam, les reporters pouvaient encore exercer comme « franc-tireurs », c’est-à-dire sans être accompagnés par des autorités officiels. Cependant, depuis la Première guerre du Golfe en 1991, les photographes sont, la plupart du temps, « embedded », c’est-à-dire escortés par les armées belligérantes[2].

Interrogée sur les conséquences des innovations technologiques sur le reportage de guerre, Jodie Ginsberg considère qu’elles n’ont pas permis de produire un meilleur journalisme. Selon la présidente de l’association de protection des journalistes, la démocratisation de la photographie et le développement des IA génératives créent plutôt une confusion entre les faits et la désinformation. Dans un monde où les images sont manipulées avec un réalisme confondant et où les pouvoirs publics contrôlent davantage qu’hier les déplacements des reporters, le métier de photojournaliste est l’objet d’un paradoxe : il est menacé et pourtant plus que jamais nécessaire.


[1] La petite fille au napalm de Nick Ut : une photo peut-elle arrêter une guerre ? : épisode • 5/5 du podcast Cinq photos révélatrices, [https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/la-culture-change-le-monde/la-petite-fille-au-napalm-de-nick-ut-une-photo-peut-elle-arreter-une-guerre-9572904],  consulté le 18 avril 2024.

[2] Barnades Florent, « La fin du photojournalisme de guerre ? », Médium, no 1, vol. 34, 2013, p. 155‑170, [https//doi.org/10.3917/mediu.034.0155].