En 2023, 96 % des journalistes en France prétendaient utiliser les réseaux sociaux dans le cadre de leur travail d’après la base de données médias Cision. Et pourtant, aujourd’hui, nombreux sont ceux aussi à subir attaques, insultes ou encore trolls sur ces derniers.

Le harcèlement en ligne est de plus en plus courant chez les journalistes, et notamment chez les femmes de la
profession qui sont les plus touchées. Crédit : Affaires Universitaires

« Rends l’argent » ou encore « Quel intérêt ». Ces réponses, publiées sur le réseau social X, ne sont pas destinées à des politiciens véreux ou à des escrocs, mais bel et bien au journaliste de France Télévisions, Julien Pain. La raison : la simple publication d’un article de fact-checking sur une influenceuse américaine, Laura Loomer. Si ces réponses peuvent paraître exagérées voire même hors de propos, elles sont pourtant très communes dans le quotidien des journalistes, et encore plus dans celui des femmes journalistes, d’après un rapport de Reporters sans Frontières de 2018.

Ce phénomène est d’autant plus problématique, qu’il concerne la quasi-totalité du milieu. D’après le livre blanc État des médias en France en 2023 de Cision, la quasi-totalité des journalistes (96 %) utilisent aujourd’hui les réseaux sociaux dans le cadre de leur travail : ils sont 84 % à utiliser LinkedIn, 80 % à utiliser X, 78 % à utiliser Facebook, 68 % à utiliser Instagram, et 14 % à utiliser TikTok. Ces plateformes offrent « des opportunités incroyables en matière de veille, de collectes d’informations ou encore d’appels à témoins » d’après la base de données. Selon cette même étude, 45 % des journalistes utilisent par exemple les réseaux sociaux pour se connecter avec des experts ou demander des interviews, 43 % pour sourcer l’information, et 24 % pour s’informer sur les « trending topics ». Mais comment faire quand ce puits d’information devient plus une source d’ennui qu’une source d’information à cause du harcèlement en ligne.

La protection en ligne au centre des débats

À l’International Journalim Festival 2024 de Perugia (Italie), le sujet de la sécurité des journalistes est au centre des préoccupations, signe d’une prise de conscience du problème. Dans une conférence sur la sécurité des journalistes sur les terrains hostiles, Alison Baskerville, spécialiste des questions de sécurité des journalistes chez Reuters, explique pourquoi ils sont souvent la cible de ces
harcèlements : « Il y a quelque chose dans votre identité de journaliste qui va attirer l’attention d’un commentateur qui va vous harceler en ligne. » Mais le problème est que ces réactions peuvent avoir des répercussions sur les journalistes. Dans certains cas, « ils ne vont pas s’arrêter au simple commentaire haineux en ligne. Ils vont ensuite affecter votre sécurité physique parce qu’ils vont vous suivre, découvrir où vous vivez, découvrir vos proches… et cela peut avoir de gros impacts sur vous, voire pire », ajoute Alison Baskerville.

Evaluer le risque pour agir au mieux

Dans la cité italienne, les propos inquiets des intervenants ne viennent pas de rassurer les foules. Maria Salazo Fero, directrice de la sécurité et de la résilience au New York Times, tempère : « Le risque est partout, et le numérique n’échappe pas à cette règle. Mais la bonne nouvelle, c’est que dans 99 % des cas, on est sur des messages qui sont justes des menaces. » Le risque est moindre. Mais il est important de regarder les dégâts que peuvent laisser ces messages sur les journalistes. Dans environ 75 % des cas, ces messages haineux représentent des risques psychologiques selon la directrice de la sécurité :
« C’est le plus dur à traiter pour nous, car cela dépend surtout du journaliste. S’il décide de ne pas parler, on ne peut que difficilement agir… De plus, ces « haters » sont nombreux à penser qu’insulter des journalistes, sur leur origine, leur travail voire même appeler à leur suicide, ne signifie rien, car ce sont des propos sur les réseaux sociaux et pas des « vraies menaces ». Mais dans la tête de nos équipes, cela laisse de gros dégâts. »

Ainsi, les rédactions doivent réussir à évaluer les risques de chaque message, notamment sous les publications des réseaux sociaux des médias. « Avant tout, on regarde ce qui se passe, notamment au niveau des menaces puis on évalue le risque. On cherche surtout à comprendre l’intention du message. Mais il faut faire attention, car ils peuvent beaucoup varier en fonction du journaliste, mais surtout du sujet traité. Cela permet déjà d’anticiper certains comportements. Pour le moment, le bilan est plutôt satisfaisant », se réjouit Maria Salazo Fero. La tâche n’est pas facile, mais les rédactions semblent être sur le bon chemin !

Hugo ANTONI


Pas facile quand on est journaliste indépendant et harcelé en ligne de réussir à se défendre. Mélina Huet, pigiste reporter en zone de conflit, explique comment elle réagit face à ces comportements.