Les médias spécialisés ont encore souvent du mal à traiter la questions des VSS dans le sport. Crédits : Geoffroy Van der Hasselt, AFP

Marc Cécillon, Oscar Pistorius, Rohan Dennis… Lorsqu’un sportif est accusé de féminicide, d’agression sexuelle ou de viol, la presse spécialisée a du mal à utiliser les mots adéquats pour décrire les faits. La question du rubriquage cristallise les difficultés d’adaptation de la presse spécialisée. 

Lors d’une nuit d’août 2004, l’ancien capitaine du XV de France, Marc Cécillon, tue sa femme Chantal de quatre coups de feu. C’est une déflagration dans le monde du rugby français, mais aussi pour la presse spécialisée. Le passage de star du ballon ovale à celui de meurtrier est difficile à traiter. Au milieu des années 2000, rares sont les médias à traiter le féminicide de Chantal Cécillon au prisme des violences faites aux femmes. L’angle privilégié est plutôt celui du sportif déchu, enclin à des problèmes d’alcool bien connus dans sa région d’origine. Pire, on laisse sous-entendre que la responsabilité viendrait de la fédération, incapable de gérer la reconversion de ses anciens joueurs. C’est ce qui ressort du travail de Valérie Bonnet, enseignante-chercheuse en sciences de l’information et de la communication à l’Université Toulouse 3, dans un article publié en 2019 sur l’Affaire Cécillon. 

La chercheuse, présente aux Assises du journalisme de Tours, souligne l’importance des rubriques dans la couverture du sujet par la presse spécialisée : « Le rubriquage induit forcément un regard car c’est un cadrage journalistique. Si l’on parle de faits divers, ça veut dire que ce n’est pas quelque chose de systémique mais que ça arrive au hasard. Et, d’une certaine manière, c’est comme cela que l’affaire Cécillon a été présentée, sous l’angle du crime passionnel, du pauvre rugbyman, du problème de la reconversion…» À l’époque, le terme “féminicide” n’est pas couramment utilisé. Mais l’affaire est tellement médiatique que L’Équipe, dont la ligne éditoriale est pourtant très axée sur la performance sportive, crée une rubrique spéciale pour s’emparer du sujet, d’abord étiquetée “Justice” avant d’être plus explicitement renommée “Affaire Cécillon”. Ce rubriquage va contribuer à donner du sens à cette couverture, non seulement pour le lecteur mais aussi pour la rédaction.  

Féminicide dans le sport, un tabou ?

Aujourd’hui encore, le terme “féminicide” est peu adopté dans la presse spécialisée, comme en témoigne le récent meurtre de Melissa Hoskins, championne olympique de cyclisme, tuée après avoir été traînée sur plusieurs centaines de mètres par son mari, également cycliste, Rohan Dennis. La journaliste d’Arrêt sur images, Alizée Vincent, s’est intéressée au traitement médiatique de cette affaire. Dans un article, elle note que L’Équipe, dans sa nécrologie de Melissa Hoskins, oublie de préciser que l’athlète a été tuée par son mari  : « L’Équipe, c’est quand même un journal de référence, et dans l’article, on ne sait pas de quoi elle meurt. Pourtant, cinq heures avant, l’Équipe publie un autre article dans lequel ces informations étaient présentes. » 

La nécrologie de Melissa Hoskins dans l’Équipe (dans la rubrique cyclisme) :


Elle ajoute : « Ça veut dire que tout le circuit des chefs à l’Équipe, des personnes qui relisent, les éditeurs/éditrices, les secrétaires de rédaction, les chefs, n’ont pas fait l’effort de vérifier et d’intégrer cette information capitale qui change complètement une nécrologie. »

La piste des gender editors

L’article en question, 20 ans après l’affaire Cécillon, est publié dans la rubrique “cyclisme”. Un choix d’autant plus inexplicable que le paysage médiatique et l’entrée du terme “féminicide” dans le discours public auraient dû faciliter un traitement plus convenable de la part de L’Équipe. A fortiori dans un contexte où les affaires de violences sexistes et sexuelles, voire de féminicides, s’accumulent.

Pour Mejdaline Mhiri, journaliste pour Les Sportives et co-fondatrice de lassociation “Femmes journalistes de sport”, il y a une « absence de réflexion totale » concernant ces questions dans la presse sportive. Pour elle, « il y a besoin d’un gender editor à l’Équipe », qui pourrait enfin porter un nouveau regard sur ces thématiques si importantes. Et de rappeler, comme une évidence, que « les considérations économiques ne devraient pas faire passer au second plan des sujets de société aussi importants que ceux des féminicides dans les stratégies éditoriales de la presse sportive. »

Lily Renaux