Les nationalistes, méfiants et suspicieux vis-à-vis des médias, conquièrent une majeure partie du pouvoir en Europe. Un bouleversement politique qui entraîne une transformation et une adaptation des journalistes.

Par Gautier Chancé

Les journalistes italiens Francesco Cancellato, Tonia Mastrobuoni et Stefano Vergine à Pérouse (Ombrie, Italie) pour une conférence sur le nationalisme en Europe, le 17 avril 2024. Crédits : Gautier Chancé

A l’approche des élections européennes, une question remue les méninges des journalistes politiques. Les nationalistes parviendront-ils à s’entendre pour devenir l’une des premières forces au Parlement européen ? Tous ne s’entendent pas, que ce soit sur l’Otan, le soutien à l’Ukraine ou la politique économique.

A l’échelle des pays du Vieux Continent, les nationalistes ont déjà conquis plusieurs pays européens : les Démocrates en Suède, le Fidesz de Viktor Orban en Hongrie, Fratelli d’Italia de Giorgia Meloni dans la botte, Droit et Justice en Pologne, le Parti pour la liberté aux Pays-Bas… D’autres sont aux portes du pouvoir : le Rassemblement national en France, l’AfD en Allemagne, le Parti des Finlandais dans le pays nordique, Chega au Portugal… Une situation qui inquiète les journalistes politiques en Italie et en Europe.

« La montée du nationalisme est une menace si nous ne réussissons pas à unifier nos forces et soutenir un journalisme indépendant », alarme Francesco Cancellato, directeur du média italien Fanpage et auteur de l’ouvrage « La droite à la conquête de l’Europe » (Rizzoli, 2024). L’arrivée au pouvoir de Giorgia Meloni à la suite des élections législatives de 2022 a surpris la classe politique italienne. La nationaliste a rallié la droite italienne à la tête d’une coalition, avec la Ligue de Matteo Salvini et Forza italia créé par Silvio Berlusconi.

Un travail journalistique qui doit s’adapter

Depuis, des journalistes politiques italiens se plaignent d’un pouvoir exécutif qui les empêche de réaliser leur travail. « Il est très difficile de faire face à de plus en plus de problèmes dans le journalisme en Italie, dans le cadre d’enquêtes. Nous avons un pouvoir politique qui essaie de nous arrêter avec de l’intimidation. Ils refusent de nous donner des interviews », estime Francesco Cancellato.

A l’occasion d’une conférence à Pérouse (Ombrie, Italie) lors du festival international du journalisme, Tonia Mastrobuoni, journaliste politique au quotidien italien La Repubblica, a exprimé ses réticences. « Quand Giorgia Meloni est arrivée au pouvoir en Italie, je parlais d’érosion et de casse des principes qui gouvernent les démocraties et la séparation des pouvoirs dont celui des médias », juge-t-elle.

La spécialiste du nationalisme italien travaille également sur les conservateurs en Europe. En Pologne, le pro-européen Donald Tusk a réussi à former un gouvernement malgré une deuxième position aux dernières législatives, fin 2023, derrière le pouvoir nationaliste sortant. « La dernière fois que je suis allé en Pologne, avant les élections, c’était pour interviewer Donald Tusk. Son équipe et lui m’ont dit que ce serait une entrevue officieuse jusqu’à ce que le prochain Premier ministre soit élu », s’inquiète Tonia Mastrobuoni. Les médias polonais ont souvent été jugés proche du pouvoir nationaliste de Mateusz Morawiecki. Ils ont été mis en liquidation par le nouveau gouvernement.

Un cordon sanitaire qui « ne subsiste guère plus »

Journaliste français au Point, Charles Sapin évoque dans son ouvrage Les moissons de la colère : plongée dans l’Europe nationaliste (éditions du Cerf, 2024) un cordon sanitaire qui « ne subsiste guère plus » en Italie. « Le premier gouvernement du ‘Cavaliere’ [Silvio Berlusconi, ndlr], en 1996, comptait déjà plusieurs individualités issues de mouvements nationalistes comme la Ligue du Nord ou l’Alliance nationale », argumente-t-il.

A l’aube d’un pouvoir nationaliste en vogue, la question du refus de coopérer avec certains partis politiques se pose toujours sur le vieux continent. « Nous voyons 25 années d’érosion progressive du cordon sanitaire », juge la journaliste de La Repubblica Tonia Mastrobuoni. Chaque courant nationaliste européen tient en sa ligne politique des nuances qui leur sont propres. Certains adoptent la stratégie de la dédiabolisation, favorisant le travail des journalistes, d’autres cherchent à satisfaire leurs électeurs les plus radicaux, comme l’AfD (Alternative pour l’Allemagne) outre-Rhin.

« Nombre de forces de droite traditionnelle tentent de radicaliser leurs positions »

Charles Sapin, journaliste au Point dans Les moissons de la colère : plongée dans l’Europe nationaliste (éditions du Cerf, 2024)

Selon le site d’investigation allemand Correctiv, la droite nationaliste allemande se serait retrouvée à Postdam en novembre 2023 pour évoquer un projet d’expulsion d’Allemands d’origine étrangère. « Nous devons considérer cela comme un danger à notre époque, non pas à cause de ce qu’ils représentent [les nationalistes] mais à cause de leur héritage », estime Francesco Cancellato.

« Nombre de forces de droite traditionnelle tentent de radicaliser leurs positions, empruntant le discours et une partie du programme des forces nationalistes dans l’espoir d’attirer à eux leurs électeurs », explique le journaliste français Charles Sapin. La droite traditionnelle reste malgré tout toujours majoritaire à l’échelle du Parlement européen.