Grands reporters : comment protéger ses données et sources avant de partir sur le terrain ?

Mar 14, 2018 | Articles | 0 commentaires

A l’occasion des Assises de journalisme de Tours cette semaine, Matthieu Mabin, grand reporter à France 24, anime un workshop sur les conseils à suivre pour se protéger sur le terrain. Mais la sécurité est de rigueur avant le départ : chiffrer et anonymiser ses données et ses sources peut être vital.

Camille Tyrou

Crédits: Camille Tyrou. Mathieu Mabin, grand reporter à France 24.

« Quoi que vous fassiez, il est primordial de se préoccuper des données numériques » avant de partir couvrir un conflit, atteste Matthieu Mabin, grand reporter à France 24 à l’occasion d’un atelier animé lors des Assises de journalisme de Tours. La chaîne d’information a d’ailleurs créé spécialement un « module de protection des sources et sécurisation des données ». Ce dernier répertorie les pays où il est primordial de s’en soucier tel que l’Iran, la Syrie, l’Égypte mais aussi les États-Unis. Il recense également les sujets qu’il est important d’effacer avant d’entrer dans ces États. En effet, plus une information est sensible, plus il convient de ne pas s’exposer avec afin d’éviter toutes sortes de problèmes. « Ça arrive que des informations tombent dans les mains de nations étrangères, dans ce cas c’est une négligence, mais généralement on ne le sait pas », confie Matthieu Mabin. Puis il poursuit : « Moi-même, je pense m’être fait plusieurs fois usurper mes données. Je me suis d’ailleurs fait déjà confisquer mon ordinateur par les autorités israéliennes pendant plusieurs heures. Ce n’est pas pour le recharger j’imagine ! » s’exclame-t-il. De plus pour garantir la protection des journalistes et leurs sources, le matériel est vérifié deux fois à la rédaction. Un expert vérifie systématiquement une première fois puis un chargé de la sécurité effectue un deuxième contrôle pour multiplier les précautions.

De précieux conseils 

Avant de partir sur un terrain en crise, une bonne hygiène numérique est à respecter : travailler avec du matériel neuf afin d’éviter le transfert de sujets compromettants d’un pays à un autre. Ou alors détruire tous les fichiers sur l’ordinateur, car selon le grand reporter, ils peuvent relever d’un danger. Ensuite des outils de chiffrement et d’anonymisation sont nécessaires pour protéger ses sources. Par exemple lors de tournages filmés clandestinement en Syrie. « Si des rushs (ensemble de vidéos) tombent bruts dans les mains du régime de Bachar Al-Assad, c’est une catastrophe. La protection des sources est la garantie qu’elles puissent toujours s’exprimer. Si les reporters ne leur sont pas fidèles, elles ne parleront plus jamais aux journalistes. Cette situation peut vite se finir par un drame si elles sont reconnues », s’alarme le journaliste de France 24. Parmi ces outils, on retrouve des logiciels connus et faciles à trouver comme TrueCrypt ou Tor. Cependant ils sont très complexes à contourner : « Personne n’a réussi à les péter. Mais le cryptage de données et des communications est essentiellement réservé pour travailler en clandestinité », déclare Matthieu Mabin. Pour éviter tous risques de traçage lors de séjours dans les pays en guerre, le reporter a d’ailleurs fait fabriquer un « matériel unique » qui se branche sur l’alimentation de son ordinateur Mac. Capable de détruire et carboniser tout l’intérieur de la machine par une impulsion électrique de 220V, les données et sources sont alors irrécupérables. Autres méthodes de destruction plus communes : l’eau et le feu.

« Rien n’est plus volatile que l’information numérique » 

À l’heure du numérique, le web est devenu un véritable danger pour la vie des grands reporters. Ces derniers sont davantage une cible prioritaire de vols de données. « Ce n’est pas nouveau mais maintenant on rentre dans leurs ordinateurs ou leurs smartphones. On les trace ou on les met sur écoute. Car l’information c’est le pouvoir. Celui qui a l’information a le pouvoir et l’initiative. Les voleurs de données cherchent uniquement à exercer un contrôle strict de ce qui est dit à leur encontre. De nos jours, rien n’est plus volatile que l’information numérique. C’est d’ailleurs probablement la principale cause de mortalité des reporters sur le terrain », estime l’envoyé spécial. Pour rappel, Reporters Sans Frontières a dénombré 827 journalistes morts sur le terrain durant la dernière décennie. Pour lutter contre ce fléau, l’organisation a mis en place un kit de survie numérique rassemblant les outils et conseils pour contourner la censure et protéger ses données.