Le membership peut-il remplacer l’abonnement ?

Avr 15, 2018 | Articles, IJF18 | 0 commentaires

Trouver des moyens de financement a toujours été un enjeu important pour les sites d’information en ligne. Si nombre d’entre eux ont choisi de recourir à l’abonnement ou à la publicité, d’autres ont opté pour un modèle plus original : le membership.

Clément Grillet

C’est le casse-tête des sites d’information en ligne : trouver un mode de financement adéquat. Face à des lecteurs qui cherchent de plus en plus à éviter la publicité, mais qui ne sont pas toujours prêts à investir dans un abonnement pour cela, l’équation n’est effectivement pas simple à résoudre. Et si, au lieu de payer pour simplement accéder à du contenu, le public se voyait en plus offrir la possibilité de devenir acteur en contribuant au travail des journalistes ? Ce modèle, baptisé membership en anglais, est notamment défendu par Jay Rosen, professeur à l’institut de journalisme Arthur L. Carter de l’université de New York. Présent cette année au Festival International de Journalisme de Perugia (Italie), il est revenu, lors de plusieurs conférences, sur le principe du membership.

Quand les lecteurs en savent plus que les journalistes

L’idée est de permettre aux lecteurs de partager leurs connaissances et leurs compétences dans un domaine donné, afin de devenir de véritables sources, car selon Jay Rosen, « tous les lecteurs réunis en savent plus que les journalistes ». Il prend ainsi l’exemple d’articles consacrés à des sujets médicaux : pour lui, des médecins sont plus aptes à donner des informations sur cette thématique que des journalistes. C’est là toute la différence avec le simple abonnement. Là où un abonné se contente de payer pour obtenir un accès à du contenu, un membre paie avant tout parce qu’il se sent concerné et croit en une cause.

Ce raisonnement a trouvé écho auprès d’une partie de la profession. Des médias reposant sur ce principe ont donc émergé ces dernières années. Parmi eux, le site hollandais De Correspondent, co-fondé en 2013 par Rob Wijnberg, Harald Dunnink, Sebastien Kersten et Ernst-Jan Pfauth. Pour ce dernier, présent lui aussi à Perugia, le choix du membership pour son site était presque une évidence : « On savait ce que l’on voulait et ce que l’on ne voulait pas. Le problème du financement par la publicité, c’est que cela implique d’avoir un certain nombre de vues et de clics quotidiens, et donc de raisonner en termes de profit. » Or pour lui, l’important est de fournir un journalisme transparent et de qualité à son public.

La règle du 1 %

Mais fédérer une communauté de membres n’est pas chose facile, même lorsque l’on bénéficie d’un lectorat important et que le coût reste accessible (sept euros par mois pour De Correspondent). En effet, comme l’explique Jay Rosen, « sur Internet, 90 % des lecteurs vont se contenter de « consommer » l’article et 9 % vont interagir avec le site, en créant un compte ou laissant un commentaire. Seuls les 1 % restants vont s’investir plus sérieusement, en publiant des informations complémentaires ou en donnant un retour détaillé sur l’article en question ». C’est donc sur ces quelques personnes que les journalistes doivent s’appuyer pour « motiver les 9 % de lecteurs actifs à faire de même, afin de fournir du contenu de qualité pour les 90 % de lecteurs passifs », ajoute Jay Rosen.

Afin de développer ce mode de fonctionnement, ce professeur américain a initié l’an dernier le projet Membership Puzzle. Le but affiché est de « rechercher comment les lecteurs peuvent apporter leurs contributions, non seulement financières, mais surtout leur expertise et leurs connaissances » et les mettre au service des journalistes. Il est également question de donner la possibilité aux membres de suivre des « modules d’apprentissage » pour se familiariser avec ce principe. Enfin, ce programme doit aider De Correspondant à lancer une édition aux États-Unis et à se forger une base de membres.

Vers une meilleure reconnaissance du journalisme ?

Mais plus qu’une façon de produire du contenu, le membership est en outre perçu, tant par Jay Rosen que par Ernst-Jan Pfauth, comme un moyen d’améliorer l’image des journalistes et de renforcer leurs liens avec les citoyens. Il faut dire que la profession fait l’objet d’un sentiment de défiance de la part de certains responsables politiques et de leurs soutiens, et plus largement au sein de la population. Le co-fondateur de De Correspondent le constate : « Lorsque l’on demande aux gens s’ils font confiance aux médias, ils répondent majoritairement non. » Il ajoute cependant que « lorsqu’on leur demande s’ils ont confiance en un journaliste particulier, les réponses sont plus positives. » Cela s’explique par la relation qui s’instaure entre les journalistes et les contributeurs. Les premiers contrôlent et vérifient l’identité des seconds ainsi que le sérieux de leurs publications. Leurs auteurs se sentent alors reconnus et en retirent une certaine fierté. Quant aux lecteurs, ils se sentent rassurés par les contributions d’amateurs experts d’un domaine, tels que des médecins ou des universitaires, par exemple.

Ce modèle reste aujourd’hui marginal face au financement par la publicité ou les abonnements traditionnels. Jay Rosen et Ernst-Jan Pfauth ne cachent toutefois pas leur espoir d’en faire une norme : le concept rencontre déjà un certain succès aux Pays-Bas et en Allemagne.