Média Pi’: les sourds veulent se faire entendre

Mar 12, 2018 | Articles | 0 commentaires

Venantia Petillault

Attentats de novembre 2015 mal traduits, sous-titrages de l’actualité médiocres et fermeture de WebSourd, la communauté sourde se sent exclue de la société française. Pour se faire entendre, des bénévoles se mobilisent et lancent le projet Média Pi’.

« Qu’on nous enlève le mur de verre entre notre monde et celui des entendants », déclare Noémie Churlet la créatrice de Média Pi’. S’il y a une chose que la jeune femme a bien saisi, c’est la pouvoir potentiel du média. Cette plateforme sur internet vise à faciliter et développer l’accès de l’information à tous. Bilingue en LSF (langue des signes française) et sous-titré en français, Média Pi’ varie les plaisirs : du format de presse écrite, vidéo, photo reportage ou encore celui de radio en LSF, Noémie Churlet souhaite tous les exploiter : « il y a une spécificité par rapport aux autres médias, c’est que nous devons prévoir un budget pour la traduction de la presse écrite (…) ce n’est pas évident mais nous ne lâcherons pas cette condition impérative d’avoir un site pleinement bilingue », écrit-elle.

Si « Pi » signifie en LSF « ce qui est typique », le média ne s’adresse pas uniquement à la communauté sourde. Preuve par le traitement de ses sujets : la thématique de l’immigration en France est abordée sous le prisme de la situation des sourds migrants, la réussite au baccalauréat mais encore les programmes électoraux, par exemple.

Le fonctionnement atypique de Média Pi’

« Dans l’équipe, il y a des entendants. La condition pour qu’ils puissent participer, c’est de bien connaître la langue des signes et la communauté Sourde », affirme la directrice du média. Si Média Pi’ s’intéresse aussi à des sujets plus larges, la priorité reste de couvrir ceux qui concernent la communauté Sourde. L’équipe de rédaction se nourrit donc d’informations via la traduction des dépêches de Brief.me (newsletter créée par Laurent Mauriac). Sur le terrain, lorsqu’il s’agit d’interviews ou de personnes qui ne signent pas, les journalistes trouvent d’autres moyens comme l’assure la journaliste Soline Vennetier : « Nous faisons appel à des interprètes ou nous échangeons à distance, par écrit. Je dirais qu’il n’y a pas de difficultés particulières prétendument liées à un handicap, mais qu’il s’agit de manières de faire différentes qui restent encore à découvrir et à expérimenter », livre-t-elle. Faire du journalisme, même différemment, semble être le credo de cette rédaction. A Média Pi’, lors des conférences de rédaction, tout le monde s’exprime en LSF. Les journalistes et les rédacteurs débattent ensemble des sujets à traiter et des formats possibles. Si les propositions sont validées, ils sont ensuite autonomes pour réaliser leurs articles ou reportages, soit seuls, soit avec l’appui d’un cameraman et d’un monteur : « Il s’agit d’une rédaction naissante, donc nous pratiquons et expérimentons beaucoup, et nous retenons les solutions qui fonctionnent », souligne la journaliste.

La création de ce média n’est pourtant pas sans embûches : « Une question reste cependant, l’accès des journalistes à la formation et ensuite aux opportunités professionnelles », admet-elle. En effet, bien que la naissance du site pilote ait pu se faire grâce au financement du Ministère de la Culture, peu de systèmes permettent de financer pleinement l’intervention d’interprètes. Mis à part les émissions l’Oeil et la main et Tout info, tout en signes, il existe aujourd’hui peu de médias avec une équipe en LSF : « Nous espérons avoir des partenaires des médias dit « entendants » pour favoriser l’accès à l’information en langue des signes ». Au-delà de cet aspect pratique, ce média a aussi pour vocation de faire changer de regard la société sur cette communauté : « Nos journalistes, rédacteurs, techniciens ne sont pas handicapés ni en situation de handicap, ils sont sourds. Ils ont leur langue (et non pas langage), celle de la langue des signes française. Nous avons besoin de faire comprendre que la société doit apprendre à nous accepter tel que nous sommes. Nous faisons partie de l’humanité, jamais nous avons pensé que de nous réparer nous rendrait heureux. C’est en s’assumant pleinement que l’on s’épanouit », revendique l’ancienne animatrice.

La plateforme aura besoin de réunir 5 000 abonnés pour être opérationnelle. Noémie Churlet était au Mans, le 24 novembre 2017 pour présenter et tenter de faire entendre une deuxième voix, celle du projet Média Pi.