Lors de la conférence « The art of war reporting » Ron Haviv revient sur son expérience en Bosnie et sa célèbre photo.
Crédit : Gabriel Upravan

Être journaliste dans des zones de conflit, c’est être confronté en permanence à la mort autour de soi et à la peur de sa propre mort. Un poids lourd à porter, qui affecte directement la santé mentale de ces journalistes, évoqué en conférence lors du Festival international de journalisme de Perugia.

Dans les zones de conflit à travers le monde, les journalistes sont des témoins indispensables des tragédies humaines qui s’y déroulent. Ce sont les journalistes de guerre, des professionnels intrépides qui se trouvent au cœur de l’action, documentant les événements les plus importants et les plus déchirants de notre époque. Leur travail et leur courage est souvent acclamé, mais derrière les gros titres se cache un aspect moins visible et pourtant crucial de leur métier : leur rapport à la mort. Ron Haviv est photoreporter depuis plus de 30 ans. Pendant 10 ans, il a couvert les guerres qui ont suivi l’éclatement de la Yougoslavie. Il a notamment documenté le siège de Sarajevo et les atrocités commises dans les camps de concentration serbes en Bosnie-Herzégovine. Et pourtant, il n’a jamais réussi à accepter la mort qu’il a côtoyée toute sa vie : « Je pense que malheureusement, avoir vu un certain nombre de personnes mourir devant moi a toujours été quelque chose de très difficile à comprendre dans une certaine mesure. Le fait que quelqu’un puisse être vivant et mort la seconde suivante est toujours choquant pour moi. »

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Vivre avec la peur

L’immersion dans le danger et face à la mort est une réalité quotidienne pour les journalistes de guerre. La peur ne les quitte jamais vraiment, c’est un poids à porter au quotidien sur le terrain : « La peur est toujours là, j’ai toujours peur à partir du moment où je quitte ma maison jusqu’à ce que je revienne. », indique le photoreporter. Les journalistes de guerre apprennent à composer avec elle, à canaliser leur anxiété pour rester concentrés sur leur mission. Pour beaucoup, c’est une question de survie autant que de professionnalisme. C’est le cas de Ron Haviv, qui a trouvé le bon équilibre entre les deux : « On ne peut pas être trop effrayé au point de ne pas pouvoir travailler, il faut donc utiliser sa peur à son avantage pour prendre des décisions intelligentes et ne pas avoir l’impression d’être Superman. J’essaie de gérer ma peur pour l’utiliser afin de me maintenir en vie, mais en même temps pour ne pas me paralyser au point de ne pas pouvoir travailler. ».

« Nous sommes toujours en train d’essayer de faire en sorte les gens ne meurent pas inutilement » 

Le rôle des journalistes de guerre dépasse celui de simple témoin, ils sont les porte-paroles de la souffrance du monde.  Ils documentent les souffrances humaines au péril de leur vie. Pour Ron Haviv, ils transmettent ce à quoi personne ne peut assister en tant que civil : « Je pense que l’une des choses que je fais, que mes collègues font, c’est d’essayer de sauver des vies. Nous sommes toujours en train de faire en sorte que les gens ne meurent pas inutilement. » Il s’agit d’une sorte de devoir de transmission. À travers des articles ou des photos, il faut transmettre des émotions, faire ressentir au grand public, à l’autre bout de la planète, ce que peuvent ressentir les populations en zone de conflit. Un exercice journalistique où les mots et les images ont une valeur encore plus particulière. Cette notion de transmission est très importante pour le photojournaliste, notamment en ce moment avec la guerre en Ukraine : « J’ai passé beaucoup de temps en Ukraine parce que je pense que c’est une histoire très importante à raconter. J’ai assisté à de nombreux enterrements et j’espère que mon travail communiquera au public autant d’émotion que j’en ai ressenti moi même. » Mais à quel prix ? La frontière entre professionnalisme et empathie peut s’avérer complexe, et il est difficile de rester impassible face à tant de souffrance et de désespoir.

« Cette idée de stress post-traumatique est réelle, il m’a affecté ainsi que mes collègues »

Vient le moment du retour à la vie civile, un retour souvent plus difficile qu’on ne l’imagine. Après avoir vécu l’adrénaline des zones de guerre, la transition vers une existence paisible peut être très compliqué : « Cette idée du syndrome de stress post-traumatique est réelle, il m’a affecté moi ainsi que mes collègues », confie Ron Haviv. La santé mentale est devenue un enjeu de santé public, et heureusement pour les journalistes ayant vu et vécu des horreurs, il est désormais possible de se soigner rassure le photographe expérimenté : « Le cliché du journaliste ivre qui est parti à la guerre est devenu très courant.  Mais dans le monde d’aujourd’hui, c’est quelque chose qui est accepté : nous avons la possibilité de voir des médecins et de parler à des spécialistes. Lorsque j’ai commencé, cela n’existait pas. » En fin de compte, le rapport des journalistes de guerre à la mort est un mélange complexe d’angoisse et de résilience, de chagrin et de détermination. Ils sont les témoins de notre humanité dans toute sa splendeur et sa laideur, et leurs voix continueront de résonner dans les zones de conflit à travers le monde.