Les conflits sociaux impactent le travail des journalistes tant sur le plan de leur intérêt pour les causes défendues que d’un point de vue sécuritaire. Qu’ils soient acteurs ou spectateurs des désaccords sociaux, les journalistes ne restent pas neutres face à ses situations.

Maria Salazar Ferro et Carlos Dada participaient à une discussion autour de la gestion des journalistes dans les rédactions, jeudi 18 avril, à Pérouse (Italie).

À l’occasion d’une conférence donnée lors du Festival international de Pérouse (Ombrie, Italie), Christopher Lawton, responsable de Silk Road Training, une entreprise qui prépare les journalistes à aller sur le terrain, a exprimé son inquiétude : « Il n’existe pas de véritable formation de premiers secours pour la couverture médiatique dans des environnements hostiles, ni de manuel pour être un bon journaliste quand des conflits sociaux éclatent. »

Pour éviter que les journalistes ne se trouvent dans des situations sécuritaires ou morales délicates, certains proposent la technique de « l’évaluation des risques », comme Maria Salazar Ferro, directrice de la sécurité et de la résilience de la rédaction du New-York Times.

Pour illustrer son idée, elle évoque « la technique du tabouret à trois jambes », une méthode pour permettre aux journalistes de faire leurs reportages dans un état d’esprit serein. La première jambe du tabouret serait celle de la sécurité physique du journaliste : « Doit-il porter un casque ? Un masque à gaz ? », se demande la journaliste. Viennent ensuite les canaux d’informations : « Quel forfait de téléphone j’utilise ? Quelles informations sur moi-même je diffuse ? »

Et enfin, vient le tour de la « troisième jambe » : l’aspect psychologique. C’est sur ce dernier pilier que les journalistes devraient capitaliser. Pour Christopher Lawton, ils doivent perpétuellement se poser la question « Comment je me sens par rapport à ce contexte ? »

« Il est difficile pour un journaliste de savoir si le risque est réel »

Pourtant, d’après Carlos Data, directeur du journal d’investigation sud-américain El Faro, il ne faut pas uniquement se reposer sur ses ressentis. « Il est difficile pour un journaliste d’évaluer si le risque est réel, puisque cela dépend de sa condition mentale du jour. Une même personne peut se sentir en confiance un jour, et le lendemain, alors que les conditions sont similaires, avoir des sentiments paranoïaques. C’est humain », rappelle-t-il.

La question de la perception anime régulièrement le débat. C’est donc le travail des responsables des médias que d’instaurer une relation de confiance suffisante avec ses collègues pour que ses instructions soient suivies. « Les décisions que l’on prend en tant que responsables doivent être les meilleures. Si vous êtes journalistes et que vous ne nous faites pas confiance, vous n’irez nulle part », insiste Carlos Data.

Dans certaines situations, il ne suffit pas seulement de défendre le travail des journalistes, mais il faut aussi protéger les rédactions des journalistes eux-mêmes. Avec la polarisation politique dans les pays de l’Amérique latine la question du rapport entre la vie privée et la vie publique des journalistes est omniprésente.

La couverture des partis politiques par des journalistes engagés

A l’arrivée au pouvoir de Nayib Bukele au Salvador en 2019, la rédaction d’El Faro, s’est demandée comment elle pourrait désormais couvrir les réunions politiques du parti « Nuevas Ideas », présidé par le chef du gouvernement. Un parti de droite, sans programme politique, qui a été créé pour soutenir Nayib Bukele à l’élection de 2019, et qui a été impliqué dans des affaires de corruption auprès du gang le plus puissant du pays, la Mara Salvatrucha.

« Nous avons dû nous demander si l’équipe de rédaction était fiable, on a fait un tour des effectifs. Certains ont quitté l’aventure par peur des représailles ou parce qu’ils ne se sentaient pas prêts. A la rédaction, si nous n’avions plus confiance, nous n’hésitions pas… », témoigne Carlos Data. Sur la question de l’implication dans des conflits des journalistes qui travaillent au sein des rédactions, le média latin a fait son choix. Comme dans la plupart des pays d’Amérique latine, la logique veut que les journalistes ne soient pas encartés politiquement, surtout si c’est un parti qu’ils couvrent dans le cadre de leur travail.

« Vous travaillez dans un environnement risqué. Il est primordial de connaître les opinions politiques et les pratiques de vos collègues pour que les civils aient l’information la plus juste possible. C’est un dû pour les citoyens », conclut Carlos Data.