Exercer son métier, cela peut avoir un prix. Si le journalisme en zone à risque constitue une expérience remplie d’adrénaline, il apporte aussi son lot de difficultés, et souvent même, de traumatismes. Des situations auxquelles les formations en journalisme et les rédactions ne préparent pas.
Par Anaïs Auzanneau
« La profession de journaliste est risquée par nature. » Elisabet Cantenys, directrice de ACOS Alliance introduit la conférence de ce jeudi matin avec une parole forte. A Perugia, le Festival International du Journalisme accueille cinq intervenants dans l’une des salles du luxueux hôtel Brufani, pour parler des fondamentaux de la sécurité pour les journalistes et l’ensemble des personnes travaillant pour des médias d’information. Face à un public international, les « speakers« , comme inscrit sur leurs badges, sont unanimes sur un point bien précis : « Les journalistes doivent être préparés avant de partir sur un terrain hostile. »
D’après l’organisme mondial Reporters sans Frontières, chaque année, plusieurs dizaines de journalistes sont pris en otage, voire tués pour avoir exercé leur métier. Un journaliste doit posséder des
« mécanismes de réponses pour s’adapter aux situations complexes », explique Maria Salazar Ferro, directrice de la sécurité et de la résilience au New York Times. Et cela passe par des préparations à la fois physiques et mentales. L’animatrice de la conférence attend une intervention en particulier sur ces questions, celle de Christopher Lawton. Assis en deuxième position à droite, le regard imperturbable, il a déjà accompagné plus de 5000 journalistes couvrant des zones à risques.
« Un journaliste doit s’informer pour limiter les risques sur le terrain »
Christopher Lawton est le co-fondateur des entreprises Silk Road Training et Mirisk Media, respectivement créées en 2020 et 2022. La première propose des sessions d’entraînement en ligne pour préparer les journalistes du monde entier à leurs missions en terrain hostile, que ce soit pour couvrir une guerre ou tout type d’événement pouvant avoir des conséquences sur la santé mentale des correspondants à l’étranger. Après avoir servi dans l’armée britannique, il a travaillé pour de grandes entreprises comme la BBC, à la sécurité. Il collabore avec un médecin spécialisé dans les premiers secours.
Pour lui, « un journaliste ne peut pas partir aveuglément en zone dangereuse, il doit s’informer pour limiter les risques sur le terrain. » Pour prévenir ces risques, les journalistes doivent avoir accès à des ressources, ce qui n’est pas le cas dans toutes les régions du monde. L’expert de la sécurité cite l’exemple de journalistes ukrainiens qui l’ont sollicité depuis le début du conflit en 2022. Il explique : « Ils avaient besoin de conseils urgemment pour pouvoir couvrir la guerre. » Parmi les dangers, il insiste sur la nécessité de prévenir les aléas psychosociaux, qui regroupent les formes de pression, de manipulation ou d’intimidation auxquels les journalistes sont particulièrement soumis.
L’enjeu est de les préparer à supporter des situations de stress extrêmes pendant et, parfois, après leur mission. Il s’est lui-même formé en travaillant avec une psychothérapeute qui lui a appris à déceler des situations de stress importantes et les réactions à adopter dans ces cas-là. Selon une étude de l’Université de Columbia, entre 80 et 100% des journalistes ont vécu des situations traumatisantes, et d’autant plus en zones dangereuses.
Des ressources pour préparer au terrain
« Il vaut mieux entrer dans un pays instable comme touriste plutôt que comme journaliste », déclare Alexander Papachristou, directeur d’un centre de justice internationale en réponse à une question du public de la conférence. Cette phrase en dit long sur les conditions d’exercice du métier et les conséquences qu’il peut avoir sur la santé mentale des journalistes. Pourtant, des organismes mettent des supports à disposition des professionnels de l’information. Depuis 1993, les journalistes français qui souhaitent se rendre dans des régions conflictuelles ont la possibilité de réaliser un stage de sensibilisation aux risques encadré par le Centre national d’entraînement commando, situé à Collioure. Cette formation d’une semaine mêle théorie et pratique, plus de 450 journalistes de tous horizons y sont passés selon le JDD.
Aussi, l’organisation mondiale Reporters sans Frontières a publié un guide pratique de sécurité des journalistes qui couvrent les zones à risques en 2016. Si les recherches sur les risques et la santé mentale des journalistes se multiplient ces vingt dernières années aux Etats-Unis et au Canada, elles sont moins nombreuses en France. Néanmoins, certains médias garantissent un suivi psychologique à leurs correspondants en zone à risques, à leur retour sur le sol français.