Les journalistes « humanitaires » s’inscrivent à la fois dans le monde humanitaire, avec une notion d’action dans l’urgence en situation de crise exceptionnelle et dans le monde journalistique avec le recueillement d’information, leur vérification et leur diffusion. Leur objectif : sauver des vies grâce à l’information. Ils espèrent qu’observer, documenter et témoigner des crises humanitaires peut avoir des effets positifs sur ces dernières.
Le journalisme « humanitaire » ne se classe pas dans une catégorie distincte comme le souligne Eleonora Camilli, journaliste spécialiste des questions d’immigration, de droits et de diasporas contemporaines : « ce type de journalisme existe en fonction du regard que l’on peut avoir sur notre discipline, il existe du journalisme plus ou moins social, plus ou moins engagé ». Dans ce cadre, le reporter se concentre sur les individus, c’est un journalisme qui s’inscrit au cœur du débat public, révélant ainsi une connexion intrinsèque entre la narration des histoires humaines et la quête de justice sociale.
En 2018, le Conseil de l’Europe a mené une enquête portant sur la couverture médiatique de quatre catastrophes humanitaires. Cette étude a impliqué l’analyse de l’ensemble des médias mondiaux afin de déterminer le nombre d’entre eux ayant traité de ces quatre événements, notamment le conflit au Sud-Soudan et un tremblement de terre en Asie. Les résultats ont montré que seuls douze médias, sur un total de 20 000, avaient abordé ces tragédies humanitaires. Cet énorme vide est dû au modèle économique de ce type de format selon Heba Aly, journaliste canado-égyptienne et membre de l’agence The New Humanitarian : « C’est le plus cher à produire et celui qui fait aussi le moins d’audience. » Il s’agit donc d’un « pari perdant-perdant » pour les médias.
Vous devez ramener de l’info, faire un reportage, et puis vous avez des enfants qui vous tirent sur la manche, parce qu’ils veulent de l’argent…
Elodie Vialle
D’autant plus perdant que, sur le terrain, le journaliste est confronté à de nombreuses difficultés. Il ne se contente pas de documenter les événements mais va aller chercher l’information, la recueillir, tenter de la faire comprendre, de la retranscrire. Il va raconter les causes sous-jacentes des crises humanitaires. Mais cette tâche est loin d’être aisée comme le rappelle Elodie Vialle, lors d’un TEDx Talks : « Vous savez, ce n’est pas toujours évident quand vous allez sur le terrain. Vous devez ramener de l’info, faire un reportage, et puis vous avez des enfants qui vous tirent sur la manche, parce qu’ils veulent de l’argent, puis à manger, puis ils vous demandent de l’eau ».
Contrairement aux ONG, dont le travail se concentre souvent sur les actions concrètes, le journaliste va faire le premier pas vers la prise de conscience, vers l’action, sans oublier que ce qu’il transmet n’est qu’une information, une image qui a besoin d’être contextualisée pour être comprise. Informer aujourd’hui sur la bande de Gaza, ce n’est pas condamner tel ou tel parti, mais c’est avant tout revenir sur les causes du conflit. Le but n’est pas d’émouvoir avec des clichés mais d’informer.
Entre engagement et éthique
Les acteurs humanitaires ont commencé à vouloir montrer leur action à la fin des années 1960, lors de la guerre du Biafra (1967-1969). A l’époque, la Seconde Guerre mondiale n’était pas très loin, alors leur crainte était de se taire, de se rendre complice avec un silence coupable. Aujourd’hui, les ONG sont cruciales pour les journalistes dans la couverture d’un conflit. Elles fournissent non seulement un accès primordial aux zones de tension, mais elles contribuent également à instaurer un climat de confiance entre les journalistes et les communautés locales.
Le journalisme « humanitaire » n’est pas exempt de critiques de la part des ONG. De nombreuses questions déontologiques peuvent être soulevées sur la manière d’interroger les personnes dans les reportages réalisés en temps de crise humanitaire. Dans un pays où l’aide humanitaire est abondante, la question du consentement et du respect de la dignité des personnes photographiées ou interviewées demeure une préoccupation majeure qui est peu prise en compte.
C’est ce que soulève Elodie Vialle : « En France, quand vous avez un reportage à faire dans une école, c’est très compliqué. Il faut les autorisations des parents, c’est long et laborieux. Mais c’est marrant comme là, à la minute où nous voulons photographier des enfants, qui sont plus loin et souvent plus pauvres, on se pose beaucoup moins la question du droit à l’image. »
Mélina Huet, journaliste reporter, a couvert la guerre en Ukraine et d’autres conflits dans le monde. Elle revient sur son expérience et les liens qu’ont les journalistes avec les organisations humanitaires.