En 2023, Reporters Sans Frontières (RSF) a placé la Chine au 179e rang de son classement mondial de la liberté de la presse. En cause, des campagnes de répression contre le journalisme indépendant et contre le droit à l’information, non seulement sur le sol chinois, mais aussi à Hong Kong et dans le monde entier. Une mainmise progressive quasi-impossible à endiguer.

Le 24 juin 2021, les derniers journalistes de l’Apple Daily tiennent le dernier numéro du journal. À la suite de l’arrestation de son propriétaire Jimmy Lai et d’un gel de ses fonds, le quotidien libéral, l’un des derniers bastions de la presse indépendante, est contraint de fermer (Crédits : AFP/Daniel SUEN)

Au moins 121 journalistes restaient enfermés dans des prisons chinoises selon le dernier rapport de Reporters Sans Frontières (RSF) sur l’année 2023. Depuis 2012, Xi Jinping, président de « la plus grande prison du monde pour les journalistes » d’après RSF, a érigé la libre information au rang de crime et le contrôle de l’ensemble des médias chinois au rang de priorité. À la clé, un monopole étatique sur les principaux groupes médiatiques du pays (China Daily et Quotidien du Peuple entre autres) et une information indépendante devenue impossible.

Pire, les réfractaires qui s’intéressent à des sujets considérés comme sensibles sont surveillés, intimidés, voire emprisonnés lorsqu’ils sont accusés d’ « espionnage », de « subversion » ou de « menaces pour la sécurité nationale ». Le 10 avril dernier, une membre de RSF a même été expulsée de Chine alors qu’elle venait assister au procès en cours de l’ancien magnat de la presse indépendante hongkongais, Jimmy Lai.

Hong-Kong, la fin d’une exception

Accusé de « conspirer en vue de produire des documents séditieux », l’ancien propriétaire de l’Apple Daily, quotidien libéral hongkongais, risque l’emprisonnement à perpétuité. Il a été arrêté en juin 2021 en vertu de la « Loi de Sécurité Nationale », qui permet de poursuivre « qui que ce soit, sous prétexte qu’il serait un danger pour le pays », s’insurge Samuel Chu, président de l’association prodémocratie Campaign for Hong Kong. « Il avait vraiment compris le décalage entre le régime chinois et la liberté d’expression » ajoute l’activiste, qui loue les agissements de Jimmy Lai en faveur de la démocratisation de Hong Kong.

Dans les colonnes de l’Apple Daily, fondé en 1995, le natif de Guangzhou prenait ouvertement parti en faveur des manifestations prodémocratie, qui ont fait souffler un vent nouveau sur Hong Kong en 2019. Rapidement qualifié de « traître » par les médias chinois, la bête noire de Pékin est arrêtée une première fois en août 2020 et son journal perquisitionné.

« Tais-toi ou tu seras le prochain »

L’année suivante, il est emprisonné. « Parce qu’il est journaliste, ni plus, ni moins », affirme Caoilfhionn Gallagher, avocate spécialiste des droits humains. Avec lui, Pékin cherche à montrer que les contrevenants [à son discours de propagande] ne sont pas dignes de confiance et sont un danger pour la sécurité nationale ».

Pour Sebastian Lai, fils du mis en cause, son père est « le plus vieux prisonnier politique de Hong
Kong », dont le cas dépasse largement le cadre journalistique. « Le modèle de la liberté d’expression est en jeu, non seulement pour Hong Kong mais aussi pour le monde entier, enchérit Caoilfhionn Gallagher, c’est le développement de l’idée « Tais-toi ou tu seras le prochain » ».

Une étreinte qui s’étend par-delà les frontières

La toute-puissance de Pékin n’opprime pas seulement sur les journalistes chinois, elle s’étend aussi à quiconque tente de dénoncer les agissements du régime. Si les correspondants étrangers sont étroitement surveillés, l’emprise de la Chine s’étend au-delà de ses frontières : Finbarr Bermingham, correspondant en Europe pour le média hongkongais South China Morning, relate avoir déjà été accusé « de travailler pour l’ingénierie nucléaire américaine » par les autorités pékinoises. Des accusations sans réel fondement, mais qui peuvent être suivies de menaces plus alarmantes.

Fin 2023, les journalistes allemande et néerlandaise Su Yutong et Marije Vlaskamp ont fait l’objet d’une campagne de désinformation orchestrée par Pékin. Parce qu’elles enquêtent sur le dissident chinois Wang Jingyu, désormais installé aux Pays-Bas, elles ont été la cible d’une vague d’alertes à la bombe envoyées en leur nom. Concrètement, des dizaines d’appels anonymes ont dénoncé leur prétendu projet de faire exploser une bombe à proximité des ambassades chinoises à Oslo, La Haye ou encore Berlin.

Endiguer l’influence chinoise à l’étranger

Si de tels événements n’empêchent pas les journalistes d’exercer librement, « il faut désormais prendre des précautions particulières que je n’évoquerai même pas en détail, pour préserver ma sécurité et celle de mes sources », décrit Marije Vlaskamp. Tout devient matière à suspicion tant l’influence chinoise semble s’exporter.

« D’autant que les autorités ne sont pas préparées à enquêter sur les ingérences d’États étrangers comme la Chine », complète-t-elle. Dans les faits, les enquêtes sur les alertes à la bombe ont bien permis de remonter jusqu’à des adresses IP chinoises, mais la seule conséquence a été un rappel à l’ordre sur le plan diplomatique.

Si la presse étrangère reste également une cible de choix pour la propagation du modèle chinois, la profession journalistique s’accorde à contester cette mainmise qui tente de s’exporter. Preuve en est, le Festival International de Journalisme de Pérouse a tendu le micro, à travers plusieurs conférences, aux journalistes persécutés et aux activistes prodémocratie.