J-120 avant les Jeux Olympiques 2024. Paris sera sous le feu des projecteurs. Il n’y aura pas de droit à l’erreur. Or, certains professionnels des médias ont une petite tendance à laisser échapper des propos racistes. À l’occasion des Assises du Journalisme à Tours, l’Association des Journalistes Antiracistes et Racisé.e.s (AJAR) est revenue sur ce problème latent. 

Conférence sur la sensibilisation antiraciste à la couverture des sports dans les JO animée par Emeline Odi et Gnamé Diarra, membres de l’association AJAR. Crédits : Savannah Ruellan

« Pikachu », « pour l’arrêter il faut lui donner dix bananes à manger », « la vitesse de la sauvagerie », ces termes choquants ont bel et bien été prononcés sur des antennes de télévision françaises pour qualifier des personnes racisées, sans aucune réaction manifeste en plateau, si ce n’est des rires…drôle d’humour. « On ne veut plus entendre ça dans la bouche de nos collègues pour les JO », assène Emeline Odi, journaliste de sport et membre de l’AJAR. Elle poursuit : « Il faut arrêter de dire qu’il n’y a pas de racisme en France, il faut arrêter de nier, de minimiser

Pour comprendre d’où viennent ces préjugés, ces insultes, il faut bien souvent remonter à un moment sombre de l’histoire française : son passé colonial. Pour ne pas tomber dans les clichés injurieux, il convient donc de s’instruire sur cette période. Gnamé Diarra, aussi membre de l’AJAR, précise : « Ce n’est pas seulement aux personnes racisées de s’éduquer là-dessus, c’est l’histoire de la France. »

Un manque de culture

Beaucoup de clichés sont repris de manière inconsciente. C’est par exemple le cas des préjugés repris sur le physique des athlètes : les Noirs savent courir, les Blancs ont une intelligence de jeu et les Asiatiques sont passifs. Un passage d’une interview de Willy Sagnol, ex-entraîneur des Girondins de Bordeaux, sur France 3 illustre ce phénomène : « L’avantage du joueur, je dirais typique africain : il n’est pas cher, généralement prêt au combat, on peut le qualifier de puissant sur un terrain. Mais le foot, ce n’est pas que ça, c’est aussi de la technique, de l’intelligence, de la discipline.» Ici, la personne noire est presque objectifiée, en tout cas privée de toute intelligence. « Il faut arrêter de réduire les athlètes noirs à leurs seules capacités physiques », enjoint Emeline Odi. 

Par ailleurs, certains semblent oublier que l’Afrique n’est pas un pays, mais un continent qui comporte 54 États. Les femmes, les hommes africain.e.s ne sont pas un seul et même bloc. Une erreur de langage qui provient souvent d’une mauvaise connaissance de ce territoire. Tout comme l’utilisation du terme « black ». Emeline Odi rappelle : « Noir ce n’est pas une insulte, tu peux l’utiliser, on parle français ! »

Une banalisation du racisme

Les journalistes ont une responsabilité : celle d’informer correctement. « Dans les couvertures, il y a toujours des incidents racistes que les médias ont tendance à minimiser », raconte la membre de l’AJAR. Les médias ont un rôle à jouer dans l’éducation du grand public. Gnamé Diarra martèle : « C’est grave déontologiquement de ne pas relever, couper des propos racistes ou minimisants.» Si des propos injurieux sont prononcés à l’antenne, que cela soit de la part du journaliste ou de son invité, il y a un risque que le public répète ce qu’il a entendu. « Le racisme anti-asiatique est l’un des plus banalisés”, donne en exemple Gnamé Diarra.

À l’approche des Jeux Olympiques, les deux membres de l’AJAR ne sont pas sereines. Gnamé Diarra se confie : «Je ne m’attends à rien, mais je vais sûrement être déçue. On est dans un contexte tendu avec une banalisation de l’extrême droite.” Face à cet événement planétaire, il semble important de rappeler que le racisme n’est pas une opinion, c’est un délit.

Elisa Lenglart–Leconte

Encadré : Combattre le racisme journalistique : où en est le combat de l’AJAR un an après sa création ?

L’Association des Journalistes Antiracistes et Racisé.e.s a vu le jour le 21 mars 2023, à l’occasion de la  journée mondiale pour l’élimination de la discrimination raciale. Crédits : AJAR

Fond noir, écriture blanche, « A » penché, vous avez peut-être aperçu le logo de l’AJAR dans les conventions et sur les réseaux sociaux. Nouvelle dans le milieu journalistique, l’Association des Journalistes Antiracistes et Racisé.e.s s’établit peu à peu sur la scène médiatique. Gnamé Diarra, membre de l’AJAR depuis son début, revient sur le parcours à l’occasion des un an de l’association. 

« Conseiller de meilleures pratiques et combattre le racisme journalistique », ce sont les deux objectifs principaux de l’AJAR. Cette jeune association a été rendue publique le 21 mars 2023 dans une tribune de Libération à l’occasion de la journée mondiale pour l’élimination de la discrimination raciale.

Pour accomplir cette ambitieuse mission, un mode opératoire a été instauré : « mettre en lumière le racisme normalisé et se poser en médiateur », détaille Gnamé Diarra. 

Alors l’AJAR investit les conventions -comme les Assises du journalisme de Tours- contacte les universités, lycées, collèges pour proposer des formations auprès des étudiants. En un an, ils en ont créé trois, « une sur le concept de race, l’autre sur le conflit israélo-palestinien et la dernière sur l’islamophobie » énumère Gnamé Diarra. Un guide sur « comment faire du journalisme sans être raciste” est même en préparation.

Mais, « les biais racistes existent aussi chez les personnes racisées », les 200 membres de l’AJAR se forment donc régulièrement. 

À la recherche de la diversité

En plus de ses missions pédagogiques, l’association pratique aussi la veille médiatique. Elle scrute les médias à la recherche des boulettes des journalistes, qui ne sont malheureusement pas rares. Ensuite, elle s’empare du problème et, dans un thread X, explique pourquoi tels propos, tels montages sont racistes.

« C’est l’AJAR qui a mis en lumière le problème que posait l’image d’illustration d’une chronique de France Bleu qui montrait un chauffeur VTC remplacé par un singe », raconte Gnamé Diarra. 

Pour les prochaines années, la jeune femme aimerait porter l’action de l’AJAR plus loin : « Je voudrais voir plus de personnes racisées, de personnes venant de milieux populaires ou ruraux dans les rédactions. Il faut changer la manière dont on parle de ces personnes
Elle conclut : « Une association comme l’AJAR ne devrait même pas exister. C’est quand on n’aura plus besoin de nous, quand on disparaîtra, qu’on aura gagné le combat ! »

Elisa Lenglart–Leconte