Paul Arrivé est le journaliste en charge de l’e-sport à L’Équipe. Il déplore le manque de considération de la profession pour ce secteur. Crédits photo : Dylan Prieur

Le sport électronique (ou e-sport) remplit les stades et déchaîne les foules, mais il se fait bien discret sur les chaînes de télévision grand public et les journaux nationaux. Une étrange absence qui trahit le manque de légitimité de cette discipline sportive aux yeux de la plupart des journalistes. 

Avec un marché de 1,7 milliard de dollars en 2023 à l’échelle mondiale et 11,7 millions de fans rien qu’en France, l’e-sport est loin d’être un acteur minoritaire du milieu sportif. Entraînements physiques, préparations mentales, hygiène de vie surveillée, tout est aussi contrôlé que dans les sports dits traditionnels. Pourtant, il est difficile d’en trouver trace sur les grandes chaînes de télévision et dans les journaux nationaux. Envié pour ses audiences, l’e-sport ne parvient pas à convertir cet immense succès dans le monde médiatique.

N0tail, joueur danois, a empoché plus de sept millions de dollars de revenus en 2024. Tous les pratiquants de l’e-sport n’ont pas la même chance. Peu encadré, le statut de joueur professionnel est encore très précaire en France.

La condescendance des médias traditionnels

Paul Arrivé est le seul journaliste de L’Équipe dédié à plein temps à ce sujet. Il fait encore face à de nombreuses réticences au sein-même de la très respectée rédaction du journal de sport : « On regardait une compétition de League of Legends [le jeu compétitif le plus populaire, dont la finale du championnat mondial a rassemblé 6,4 millions de spectateurs en ligne]. Un collègue nous a demandé si on était en train de jouer aux jeux vidéos sur notre temps de travail. »

Difficile d’apparaître comme un sujet digne d’être traité lorsqu’on n’est pas considéré comme un sport par les journalistes qui travaillent sur le football et le vélo. Pour le jeune journaliste, les raisons sont multiples, à commencer par le décalage générationnel entre le monde de l’e-sport et les médias traditionnels. D’un côté, on retrouve de très jeunes pratiquants, de l’autre des journalistes de sport qui n’ont pas les codes du milieu. L’e-sport, par ailleurs, est surtout consommé sur des plateformes dédiées comme Twitch ou Youtube, que les médias traditionnels peinent à s’approprier. Au final, l’ignorance et la déconsidération entre les publics de l’e-sport et les médias mainstream semblent réciproques. 

Des tentatives de dialogue encore timides

L’e-sport semble fonctionner en vase clos. « Est-ce que la discipline a vraiment besoin des médias traditionnels, alors qu’elle a créé son propre microcosme de diffusion et même ses propres codes journalistiques ? » s’interroge Paul Arrivé. Sous l’impulsion de ce dernier, L’Équipe a consacré en janvier dernier un format ‘‘Explore’’ au monde du sport électronique en Corée du Sud, son pays d’origine, appelé « Au Royaume de l’E-sport ». Un long format écrit, réservé aux abonnés, ce que déplore le journaliste : « Ce qui aurait fonctionné chez les publics e-sport, c’est la vidéo. »

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Jusqu’ici cantonnées aux articles web et à de très rares incursions dans l’édition print, les productions de Paul Arrivé, qui travaille avec un pigiste, ont également fait l’objet d’un magazine qui a rencontré un franc succès : « J’ai eu des messages de gens qui me disaient avoir acheté le premier journal de leur vie. »

Pour faire sortir l’e-sport de sa niche, les idées ne manquent pas, argue Romain ‘‘Caelan’’ Albesa, manager e-sport de l’écurie française Solary, basée à Tours : « Starifier certains joueurs, et alimenter la proximité avec les structures nationales pourraient être des pistes » propose-t-il. Mais tant que des journaux comme Le Monde confieront la couverture de l’e-sport à des journalistes tech, le secteur restera marginal dans le paysage médiatique.

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Pourtant la demande de contenus journalistiques existe chez les publics de l’e-sport, très demandeurs de papiers “coulisse” ou de portraits, qui diffèrent des classiques comptes-rendus de matchs. La parution jeudi 28 mars 2024 d’un documentaire de France TV Slash sur le sujet apparaît déjà comme un pas en avant. « Quand les médias traditionnels seront prêts, on le sera aussi », assure Caelan. Une main tendue que les principaux intéressés se refusent pour l’instant à saisir.

Enrichissement : C’est quoi l’e-sport ?

Elian Malric