L’environnement manque de politique
Morgane Kouanda Deverin
L’environnement n’est pas encore suffisamment traité comme une priorité politique selon les résultats d’un sondage de l’Institut Montaigne. 53% des Français considèrent même que « le dérèglement climatique et ses conséquences » est un sujet « mal traité » dans les médias, et ce malgré les évolutions développées au cours de ces dernières années.
Selon le sociologue Jean-Baptiste Comby, l’écologie est un sujet fondamentalement politique « en ce qu’elle interroge frontalement et aux racines toute la matrice de l’ordre social capitaliste ». Pourtant, elle est aussi « l’objet d’une forte et durable dépolitisation. »[1] Dépolitisation qui se retrouve notamment à travers le récit qui en est fait dans les médias généralistes.
L’actualité au prisme de l’écologie : une habitude à prendre
Justine Guitton-Boussion, journaliste, est passée par 20 Minutes avant de rejoindre Reporterre. Elle raconte que dans un média aussi généraliste que le premier, peu de moyens pour la rubrique « Planète » restreignent ses capacités de traitement. Souvent, les articles restent très factuels, se limitant à l’aspect technique des mesures politiques. Elle se souvient avoir interviewé Pierre Larrouturou au sujet de ses propositions d’un budget européen pour la protection du climat et de l’environnement. « Pour 20 Minutes, on cherche déjà à parler du sujet, à comprendre en quoi consistent les propositions. Pour Reporterre, le public est averti. Il faut plutôt voir si de telles mesures ont été prises ailleurs, si elles ont fonctionné. »
Si « c’est mieux qu’avant », le chemin est encore long d’après la jeune journaliste. Les inondations d’octobre dans les Alpes Maritimes sont souvent classées dans des rubriques « environnement » sans être reliées au phénomène global, observe-t-elle. Ce que confirme Reporters d’Espoirs, qui souligne que « les sujets environnementaux demeurent peu contextualisés dans le problème climatique. »
Entre spécialisation et vulgarisation
Selon la maîtresse de conférences en sciences de l’information et de la communication Béatrice Jalenques-Vigouroux, la dimension scientifique du sujet interroge les journalistes qui veulent s’en saisir. Ils se retrouvent souvent partagés entre la tentation de « devenir spécialiste du sujet pour en restituer la complexité et celle de ne pas être trop spécialisés pour rester compréhensible ». La journaliste de Reporterre est partisane du regard neuf : « Beaucoup de nos lecteurs ne sont pas spécialistes non plus. Lorsque Reporterre fait appel à quelqu’un que je ne connais pas, je me dis qu’une partie des lecteurs non plus. Cela oblige à bien le présenter, à vulgariser. »
La chercheuse relève que lorsque la mise en récit des sujets environnementaux ne se fait pas via les grands experts, elle se fait souvent « via des témoins, des individus qui vont raconter leurs histoires, des gens drôles » … ou des célébrités. Si certains de ses collègues « n’aiment pas voir des peoples surfer sur un sujet dont ils ne connaissent pas les enjeux », Justine Guitton-Boussion trouve que « ça permet de les rendre visible ». Qu’avec une telle audience, ils se contentent « de dire qu’il faut trier ses déchets, sans exiger des dirigeants qu’ils respectent leurs engagements, c’est frustrant ». Elle souligne tout de même l’apparition d’un discours politique : « Cyril Dion a rencontré Emmanuel Macron pour essayer de faire quelque chose de politique avec la Convention Citoyenne pour le Climat. »
Le prisme individualisant est particulièrement critiqué par Jean-Baptiste Comby, car il empêche une remise en question plus générale du système en se focalisant sur les petits gestes du quotidien. Guillaume Carbou, maître de conférences en science de l’information et de la communication, parle lui de « masquage des structures » empêchant de remettre en question « le modèle de relations sociales, spatiales, technologiques… »
« Militant » : la crainte de la décrédibilisation
Béatrice Jalenques-Vigouroux note un paradoxe entre la faible place des revendications politiques et les trajectoires de certains scientifiques, dont certains d’abord peu intéressés par la politique se retrouvent à s’interroger sur « la manière dont les activités humaines occasionnent et pourraient limiter les dégâts ». La chercheuse précise que la prise de position est compliquée pour les scientifiques : « ils ont une sorte de devoir de réserve ». Réserve dont ils sont de plus en plus nombreux à sortir, comme le font par exemple les membres de l’Atelier d’écologie politique dont elle et Guillaume Carbou font partie. L’ATÉCOPOL participe au « dialogue entre connaissances scientifiques et débats sociaux et politiques sur l’avenir à construire ». Guillaume Carbou ajoute que pour certains scientifiques, comme ceux du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), l’absence de discours politique « est un choix stratégique. Ils font le pari de se montrer non‑partisan pour faire émerger une conscience politique, sans être taxés de militants. »
Cette appellation irrite d’ailleurs Justine Guitton-Boussion qui, en tant que journaliste environnement, peut s’en voir affublée. « On peut faire du journalisme engagé sans être partial, en laissant place à la contradiction. Ne pas vouloir du changement climatique ne fait pas de moi une militante. Taxer un journaliste de militant, c’est une façon décrédibiliser ce qu’il fait alors que les faits sont étudiés, recoupés et vérifiés… » Elle ajoute que ce reproche ne touche que les journalistes « qui travaillent sur des sujets plutôt ‘‘à gauche’’, alors que les autres sont peut-être aussi engagés ». Guillaume Carbou renchérit sur le débat autour de la question de l’objectivité et de la neutralité dans le journalisme : « De plus en plus de pure players jouent cette carte de la clarté, comme Médiapart, Le vent se lève… » Il précise qu’il « existe tout un corps de littérature scientifique sur l’incompatibilité entre la croissance et la sauvegarde de l’environnement. Un journaliste doit pouvoir s’en saisir sans être classé comme militant. » Agacé, il s’interroge : « Ils peuvent rappeler à ceux qui pensent que la Terre est plate que cette idée est contredite par les connaissances scientifiques sur le sujet, ils devraient aussi pouvoir contester ceux qui parlent encore de croissance verte. »
L’environnement dans les politiques éditoriales
Pionnier dans la réflexion sur le rôle que peuvent prendre les médias dans la transformation écologique, The Guardian a publié dès 2019 ses engagements pour le climat, parmi lesquels les choix de dédier le genre journalistique reportage à la question, le fait d’ajuster le champ lexical à l’urgence et l’objectif de devenir une entreprise à émission zéro. Sans atteindre le niveau du quotidien national britannique, Libération s’engage sur la même voie et Radio France prend des engagements « pour une publicité plus verte ». Plusieurs chaînes de télévision et de radio privé ont publié un communiqué invitant à la création d’un « contrat média climat », sans aucun engagement concret pour l’instant.
De plus en plus, les sujets « environnement » quittent les rubriques spécialisées et apparaissent en filigrane dans des rubriques « politique » ou « économie ». Pour Justine Guitton-Boussion, c’est une bonne nouvelle. L’engouement pour les sujets environnementaux a d’ailleurs apporté de nouveaux visiteurs au site de Reporterre. « On a eu une vague de nouveaux visiteurs très récemment, avec le premier confinement », raconte-t-elle. D’abord parce que, coincés chez eux, les gens avaient plus de temps pour lire. Surtout, ils « ont fait le lien entre la pandémie et l’effondrement de la biodiversité ».
[1] « Retour sur la dépolitisation des enjeux écologiques », Jean‑Baptiste Comby, Manuel indocile de sciences sociales (2019), pages 470 à 480.