Comment quitter son cocon numérique ?

Avr 4, 2019 | Articles, IJF19 | 0 commentaires

Les réseaux sociaux nous proposent les contenus que nous sommes le plus susceptible de liker. Conséquence de l’économie du « clic », ce processus nous installe confortablement au sein d’un cocon dans lequel les opinions divergentes n’ont plus leur place. Ce cocon a un nom : la bulle de filtres, ou filter bubble effect, concept introduit en 2011 par le militant américain d’internet Eli Pariser. Quelles sont les conséquences de ces bulles de filtres sur les utilisateurs ? 

Paul TILLIEZ

Ce que nous aimons, ce que nous recherchons et ce que nous partageons sur Facebook conditionne ce qui apparaîtra plus tard dans notre fil d’actualité. Cette personnalisation des informations proposées semble, au premier abord, positive: une offre sur-mesure empêchant l’apparition dans notre fil d’actualité d’articles qui ne nous intéressent pas, « quoi de mieux ? », dirions-nous. 

L’enfermement de l’utilisateur 

Pourtant, la confrontation à des idées nouvelles est cruciale pour le maintien du débat démocratique. Cette personnalisation de l’information, qui prétend nous vouloir du bien, pourrait donc, au contraire, nous desservir. C’est la signification de la théorie de la bulle de filtres avancée par Pariser :

« La personnalisation nous emmène très rapidement vers un monde dans lequel l’internet nous montre ce qu’il pense que nous voulons voir, mais pas nécessairement ce que nous avons besoin de voir. » 

Vivre dans une bulle de filtre, c’est conforter sa façon de penser à tout instant, au point d’oublier l’existence d’autres avis.

Nathalie Pignard-Cheynel est professeure assistante à l’Académie du journalisme et des médias à l’Université de Neuchâtel. Selon elle, cette bulle, nous la construisons nous-mêmes : « À travers ce que les personnes aiment ou partagent sur Facebook, elles se créent leur propre bulle de filtres. L’existence de cette bulle ne constitue pas le réel problème, ce qui est problématique, c’est que la plupart des gens n’ont pas conscience de son existence. » 

Un apprentissage nécessaire des outils du numérique

L’éducation aux médias et aux réseaux sociaux est un enjeu capital pour l’universitaire : « Il faut se forcer à aller aimer des pages et des médias avec lesquels nous ne sommes pas forcément d’accord pour se créer un spectre d’information plus large. C’est un processus laborieux et artificiel mais nécessaire. Il s’agit d’éduquer l’algorithme de Facebook afin de pouvoir mieux s’en servir. » 

Cette éducation au numérique s’avère particulièrement importante pour les journalistes qui, se trouvant eux-mêmes dans une bulle de filtres, risquent de relayer une pensée préfabriquée. Chiara est étudiante en médias et communication dans une université italienne : « Sur mon fil d’actualité, je constate que le traitement de l’information par les différents médias auxquels je suis abonnée est redondant. […] Il me semble important que les étudiants et les futurs journalistes soient attentifs à ce qui se dit dans les médias avec lesquels ils ont moins d’affinités. »

Facebook propose une nouvelle fonctionnalité 

Du côté de Facebook, on a été sommé de réagir. « Matteo », qui ne se présente aux visiteurs que par son prénom, est attaché de presse chez Facebook. Il vante auprès des journalistes présents le nouvel outil mis en place par la plateforme: « Pourquoi est-ce que je vois cette publication ? » Il insiste sur la volonté du réseau social d’être moins opaque : « Il y a eu des plaintes de la part de nos utilisateurs qui réclamaient plus de transparence sur le fonctionnement de notre algorithme. Nous avons donc intégré début avril cette nouvelle option à notre plateforme. » 

Concrètement, en cliquant dans l’onglet en haut à droite de chaque post, l’application nous explique pourquoi cette publication apparait, et nous permet ainsi de gérer les préférences de notre fil d’actualité. L’efficacité de cette fonctionnalité ne pourra pas être mesurée avant fin mai, temps nécessaire à sa mise en place dans le monde entier. Mais elle traduit bien l’urgence d’une réaction de Facebook face aux pressions sociales et politiques qui pesaient sur la firme après le scandale de Cambridge Analytica et l’élection de Donald Trump.