Comment les « digital natives » pourraient restaurer le lien de confiance entre médias et public
Ils créent, innovent, inventent de nouvelles façons de faire l’information, de nouveaux formats et même de nouveaux modèles économiques. Les jeunes journalistes étaient présents et très actifs lors de ces 12e Assises du journalisme à Tours.
Aude Frapin
Ils sont appelés « digital natives », ce concept théorisé en 2001 par l’enseignant et chercheur Mark Prensky désigne l’ensemble des individus nés après 1980 et ayant grandi dans un environnement numérique. Ils représentent aujourd’hui en France un quart de la population active, soit 16 millions d’individus. Au sein des rédactions, leurs aptitudes à utiliser les réseaux sociaux, le data journalisme ou le fact-checking sont très prisées. Et si la vision et les pratiques numériques de la nouvelle génération de journalistes étaient la solution pour restaurer le lien de confiance entre médias et public ?
Des pratiques numériques pour restaurer la confiance du public
La jeune génération de journalistes s’est emparée du numérique et de ses outils pour produire de l’information et bousculer les codes des médias traditionnels. Leur pratique est bien différente de leurs prédécesseurs. Les digital natives utilisent quasiment trois fois plus les médias sociaux. A titre d’exemple, d’après une étude universitaire britannique 31% des 18-27 ans utilisent Youtube contre 11% chez les 46-64 ans. Quant à Instagram et Pinterest, 62% des 18-27 ans les utilisent contre 24% chez les 46-64 ans.
Tanguy Humery étudiant à l’école de journalisme de Tours (EPJT) développe depuis plusieurs années un intérêt particulier pour le data journalisme : « J’ai eu l’occasion de réaliser un stage de 4 mois à la rédaction de Datagueule, une émission qui décrypte les chiffres pour expliquer les mécanismes de la société », explique-t-il, avant d’ajouter : « Datagueule est très présent sur les réseaux sociaux, ce mode de diffusion permet d’aller au plus près des internautes, particulièrement les jeunes ». En 2017, ce passionné des chiffres a également monté un média éphémère décryptant les résultats des élections législatives dans le département de l’Ille-et-Vilaine : « J’ai épluché une masse importante de chiffres issue de la préfecture, je l’ai analysée et j’ai proposé mes décryptages sur un blog » confie-t-il. Selon lui, l’initiative a plutôt bien fonctionné auprès du public. L’étudiant considère que la maîtrise des chiffres et le travail de narration doivent se compléter pour créer des contenus journalistiques ludiques et restaurer le lien de confiance entre public et média. Tanguy regrette toutefois : « Il existera toujours des gens méfiants à l’égard de l’information ».
Bénéficier de la confiance du public est également une dimension du métier importante pour Kheira Tami, rédactrice en chef de AJ+. Ce média en ligne très présent sur les réseaux sociaux accorde beaucoup d’importance à la relation média-public. Kheira Tami assure : « AJ+ est un média jeune qui s’adresse aux jeunes grâce à des vidéos courtes et ludiques », avant de rétorquer : « Nous accordons beaucoup d’importance à la confiance que nous porte notre audience, nous les écoutons et nous répondons à la majorité des commentaires. » Un journaliste s’occupe en effet de la modération des commentaires et l’ensemble des journalistes vérifient plusieurs fois les informations avant de les publier, « quitte à les publier après nos concurrents » selon la rédactrice en chef.
Streetpress, à l’écoute de son lectorat
Regagner la confiance avec le lectorat passe aussi par un modèle économique adapté selon Johan Weisz, rédacteur en chef et fondateur de StreetPress, un des premiers pureplayers français. Apparu en 2009, le média s’adresse essentiellement aux 20-35 ans. Depuis sa création Streetpress s’est appuyé sur l’agence interne « Street studio » pour subventionner une partie des frais de la rédaction. « L’agence crée par exemple des contenus pour des ONG ou des marques », selon Johan Weisz.
Aux Assises internationales du journalisme à Tours, la jeune équipe de Streetpress en a profité pour annoncer « un virage vers le modèle économique du membership ». Ce modèle est basé sur la contribution financière des lecteurs. En contrepartie les adhérents recevront des avantages comme une newsletter consacrée à la vie internet de la rédaction. Les contributeurs pourront apporter leurs idées de contenus ou d’articles. Johan Weisz confie : « Nous souhaitons changer la relation avec nos lecteurs, l’idée est de travailler davantage avec eux en leur proposant de nous soutenir chaque mois » explique-t-il avant d’ajouter : « Un forum en ligne structurera le groupe de contributeurs et nous irons davantage à la rencontre des lecteurs, nous souhaitons être itinérants dans les quartiers pour les rencontrer et resserrer le lien de confiance pour prouver aux gens que les rédactions ne sont pas toutes des boites noires au fonctionnement opaque. ». Le pari est risqué certes, mais audacieux. La démarche pousse à croire qu’une nouvelle génération de journalistes, mue par l’envie de proposer des modèles économiques basés sur la transparence et la confiance, est née.