Quels remèdes aux fake news ?

Mar 16, 2018 | Articles, Assises | 0 commentaires

Venantia PETILLAULT

Le phénomène des fake news qui a émergé depuis les dernières élections américaines, est actuellement discuté autour d’un projet de loi très controversé. Il est notamment porté par la ministre de la Culture, Françoise Nyssen, qui en a définit les contours lors d’une conférence aux Assises du journalisme.

« En ce moment-même, Macron est à Tours. Cela est un fait. Mais si je dis que Macron ne veut pas venir aux Assises car il n’aime pas les journalistes, ça c’est un fake news et pourtant, cela partait d’un fait réel », vulgarise Clara-Doina Schmelck, rédactrice en chef adjointe d’Intégrales. En effet, les mots ont leur importance et précisément quand le terme a été créé, sinon popularisé, par Donald Trump en personne. Ce phénomène peut donc expliquer certaines études alarmantes : l’institut PolitiFact indique que seulement 4 % des propos de Donald Trump étaient vrais lors de la campagne présidentielle de 2016, contre 75 % pour Hillary Clinton.

Une désinformation 2.0

Jean-Bernard Schmidt, co-fondateur de Spicee prend le temps d’établir la distinction : « Il y a une réelle différence entre créer une nouvelle de toutes pièces et singer les codes d’un journal par exemple. Cet aspect de ressemblance rend les fake news ou la désinformation non repérable, c’est là ce qui est dangereux », résume-t-il. A ce sujet, tout le monde s’accorde et Divina Frau-Meigs, l’une des membres du groupe d’experts sur les fake news de la Commission Européenne ne manque pas d’affiner davantage cette définition. Si la désinformation n’est pas une nouveauté, l’ère 2.0 a bouleversé les codes : « A l’époque de la « désinformation 1.0 », qui ne concernait que les médias traditionnels, le premier critère était la crédibilité et il s’est fait débordé par l’effet du numérique. Aujourd’hui, trois critères gouvernent le paysage médiatique : la viralité, la technicité et la prouvabilité », expose-t-elle.

A ce titre, les réseaux sociaux et les plateformes sont un terreau fertile pour la diffusion de ces fake news. Mais, c’est moins leur aspect réticulaire que leur utilisation qui fait défaut. En 2000, Eli Pariser, un militant Internet américain et co-fondateur de Avaaz.org théorise le concept de « bulles filtrantes » : il s’agit de la diffusion de l’information qui parvient à l’internaute par différents filtres. La personnalisation de ses recherches mises en place à son insu, le met de facto dans un état d’isolement intellectuel. Selon Pariser, c’est surtout ce type de circuit fermé qui créé la désinformation et qui constitue la mission inverse que se donnent les journalistes.

L’inefficacité de légiférer

« Le journalisme est essentiel parce qu’il permet de contrôler des faits, d’apporter des explications mais aussi de dénicher des contrevérités, d’être la fonction critique d’une démocratie », a déclaré Emmanuel Macron mercredi en marge d’un déplacement en Touraine consacré à l’éducation et à l’apprentissage. « Contrôler des faits et dénicher des contrevérités », c’est justement ce que se propose d’échafauder la ministre de la Culture à travers son nouveau projet de loi. Faire cesser, en référé, la diffusion de fausses informations, une obligation de transparence renforcée et imposée aux plateformes numériques pour connaître les annonceurs de contenus sponsorisés mais aussi la somme versée : voici les premiers jalons du projet de loi « contre la désinformation » en discussion.

Dans un amphithéâtre bondé, Françoise Nyssen accrochée à ses notes, en expose les contours. Si elle rassure quant à la censure avec la garantie que la loi ne sera applicable que si l’information est fausse et la diffusion massive, la profession n’en est pas plus convaincue. Vincent Lanier, premier secrétaire de la SNJ la qualifie « d’inefficace et de potentiellement dangereuse ». En effet, une étude menée par le MIT et la Commission européenne intitulée « Une approche multidimensionnelle de la désinformation », insiste sur l’inefficacité relative de cette loi.

En moyenne, Jean-Bernard Schmidt note qu’il faut environ 14h pour inscrire une actualité en faux , contre 2h pour démontrer qu’une information est vraie, de quoi se décourager. Les participants à l’atelier semblent s’accorder sur ce point : il vaut mieux privilégier l’outil du fact-checking, comme le défend Divina Frau-Meigs : « L’expansion du numérique permet la création de nouveaux métiers, comme les fact-checkers », énonce-t-elle.

Néanmoins, deux problèmes émergent : un aspect inégalitaire car toutes les rédactions n’auront pas forcément les moyens d’embaucher ces « vigies de l’information ». Mais aussi, l’efficacité là encore contestable de ces nouveaux métiers : le fact-checking court après le fake news, il est réactif au lieu d’être préventif.

L’atelier et l’intervention de la ministre s’achèvent finalement sur un consensus. Jean-Bernard Schmidt soulève l’importance d’introduire une éducation aux médias dès le primaire et Françoise Nyssen salue certaines initiatives comme celles de l’EMI (éducation aux médias et à l’information). Cette éducation aux médias est une arme commune, capable d’enrayer ce phénomène plutôt que d’y remédier après coup.