Photojournalisme de guerre : du terrain aux réseaux
À l’occasion du Festival international du journalisme de Pérouse, Nicole Tung et Paul Conroy, tous deux photojournalistes de guerre, animaient une conférence sur les enjeux de leur profession. Dans un monde où les images circulent toujours plus vite via Facebook, Twitter ou Instagram, quel est l’impact des réseaux sociaux sur le photojournalisme de guerre ?
Anna KURTH
À la question : « Est-ce que le travail de photojournaliste de guerre est toujours utile avec les réseaux sociaux ? », Nicole Tung, photoreporter de guerre freelance, ne fléchit pas : « Il est essentiel que des photojournalistes se rendent dans des zones de conflits. Nous devons faire entendre la voix des gens qui vivent là-bas, rendre compte de ce qu’il s’y passe », explique-t-elle. Depuis 2011, elle couvre aussi bien la Libye, la Syrie, la République Démocratique du Congo qu’Hong Kong ou la crise des réfugiés en Europe, pour des titres de presse divers.
« Avec Facebook, Twitter, Instagram, c’est devenu très simple de prendre des photos. La diffusion des images est instantanée », admet Paul Conroy. Mais les réseaux sociaux ne remplacent pas le travail des reporters sur le terrain, rassure le photojournaliste : « En tant que journalistes, nous allons au-delà de l’image superficielle. Nous rencontrons des gens, nous allons au plus près de situations dangereuses, nous relatons des histoires », insiste-t-il. Avec le travail du photoreporter, la réalité du terrain prime sur l’image en tant que telle : « Nous allons toujours plus en profondeur dans nos sujets, nous ne restons pas à la surface des choses. Là est notre travail », précise Paul Conroy. Cet ancien soldat indiscipliné de l’armée américaine a couvert la guerre des Balkans, le Moyen-Orient et la Libye. Il a reçu en 2011 la troisième place au prix Bayeux dans la catégorie télévision, avec Marie Colvin, photojournaliste décédée en Syrie lors d’un reportage.
Une prise de distance avec les réseaux sociaux
Les réseaux sociaux constituent des outils indispensables aux photojournalistes. Mais dans quelle mesure influencent-ils le travail des reporters ? Les professionnels sont-ils en quête d’une esthétique spécifique, prête à plaire aux instagrammers et autres twittos ? Pour Nicole Tung, la réponse est toute trouvée : « J’essaie le plus possible ne pas être influencée par les réseaux sociaux, car j’ai besoin de transmettre la réalité de ce qui se passe devant moi, et ce, le plus précisément possible » explique-t-elle. Les réseaux sociaux ne permettent pas de réellement rendre compte de la réalité du terrain. Au contraire, ils « tendent à généraliser les choses ou simplifier des situations beaucoup plus complexes en réalité », selon la photojournaliste.
Certes, le lectorat n’est pas une « priorité » pour Nicole Tung : « Je choisis ce sur quoi je vais me focaliser, sans forcément penser au public en premier. Je me concentre sur des histoires que je juge nécessaire de mettre en lumière », résume-t-elle. « Quand vous êtes sur un terrain de guerre, vous pensez avant tout à votre survie » et non à la diffusion des images, avoue Paul Conroy. Pour autant, il ne s’agit pas non plus d’évacuer la notion de lectorat, lorsqu’on se rend sur des terrains de guerre. « Je pense néanmoins à mon audience, car certaines publications ciblent un public bien spécifique et non généraliste », précise Nicole Tung.
Les réseaux sociaux comme vitrine de conflits
Pourtant, Paul Conroy comme Nicole Tung sont présents aussi bien sur Facebook que Twitter ou Instagram. L’usage des réseaux sociaux devient incontournable pour eux : « Les réseaux sociaux ont un impact évident dans la diffusion de notre travail. Ils constituent un moyen de faire connaître nos productions, reconnaît la jeune femme. Nous espérons que les gens prendront du temps pour lire nos histoires et regarder nos images », avoue-t-elle.
Ils ont également un impact sur la représentation de la guerre que se fait le grand public. Parmi les publications de Nicole Tung sur Instagram, des images en noir et blanc de conflits, des clichés d’explosions, des visages d’enfants et d’adultes vivant en zones de guerre, des portraits, des polaroids… Comme un carnet de bord de voyages pas comme les autres. Celles de Paul Conroy n’ont pas la même tonalité : des clichés un peu plus crus de blessures, de corps, de tranchées, d’explosions et également des photos de lui sur les plateaux de télé. Les représentations de la guerre ne sont pas les mêmes, et donnent un autre éclairage à ces terrains de conflits.
« Ce que je vois de façon assez large dans les médias dominants, ce sont des images assainies des conflits, se désole Nicole Tung. Ils font attention à leur public et s’intéressent essentiellement au côté graphique des images, pour satisfaire les spectateurs», regrette-t-elle, avant de concéder:« Il vaut mieux publier quelque chose, même ainsi, plutôt que rien du tout ». « La guerre est un immense sujet à traiter », clame Paul Conroy, résumant à la fois la passion et les difficultés propres à ce terrain très particulier.