Le smartphone : une rédaction dans la poche
Martin Cauwel
Il tient dans la poche et séduit les rédactions du monde entier. La rapidité et la polyvalence du smartphone en font un outil très efficace pour couvrir, entre autres, l’actualité chaude dans de très courts délais, voire en direct. Avec efficacité, mais sans filtre et sans filet.
Breaking news ! Nous sommes le 17 février 2014, une prise d’otage se produit dans un avion s’apprêtant à décoller du tarmac de Genève, en Suisse. Les premières images en direct, diffusées par Sky News, sont tournées avec un téléphone portable.
Le « mobile journalism », ou « Mojo », doit en partie son essor à la rapidité d’exécution et à la polyvalence qu’il permet. Presse écrite, radio et télévision, tout le monde s’y met. Une convergence des formats « historique pour le journalisme. Les médias deviennent multimédia et numériques », insiste Rosa Maria Di Natale. Journaliste pour La Republicca et adepte de cette pratique depuis plusieurs années, elle affirme qu’un smartphone contient toute une ‘’newsroom’’, connectée mais surtout autosuffisante : « Un panel d’applications gratuites permet de traiter des photos, d’éditer un son, de monter des vidéos, directement sur le téléphone ». Téléphone qui aura aussi permis au journaliste de capturer ces images et sons de qualité professionnelle, et ce avec un minimum d’équipement pour rester léger et mobile : un micro externe, un petit trépied, parfois un stabilisateur. Le journaliste pourra ensuite envoyer ces productions à la rédaction en moins de temps qu’il ne faut pour l’écrire.
Du tout-en-un, mais pas du bricolage
Ce dispositif est désormais utilisé par un grand nombre de rédactions. Parfois, des formateurs et consultants spécialisés pilotent son installation, comme Corinne Podger : « Produire du contenu journalistique avec un smartphone ne concerne pas que les médias émergents aux budgets serrés, incapables d’investir dans du matériel spécifique à la télévision ou à la radio. J’ai aussi travaillé avec des rédactions qui ont beaucoup d’argent. » Ces dernières justifient leur choix en termes d’investissement en temps et en moyens humains plutôt que financiers, pour profiter « des avantages éditoriaux du mobile journalism ». Parmi eux, la facilité des gens à parler à un téléphone plutôt qu’à une caméra, la maniabilité et la discrétion du smartphone sur des terrains difficiles, et la diffusion d’images en direct sur les réseaux sociaux.
Ellen Schuster, en charge du numérique pour Deutsche Welle, a formé sa rédaction à l’exploration de ces techniques : des formats spécifiques à la couverture d’événements comme des manifestations ou des accidents. « Vous appuyez sur le bouton Live et tous vos abonnés reçoivent une notification » s’enthousiasme la journaliste allemande. Pour elle, c’est une façon d’aller chercher une nouvelle audience, de ne pas diffuser sur un « support passif » comme la télévision et au contraire d’inclure ces images dans le fil d’actualité des gens. Ce format établit une interactivité entre les spectateurs et le journaliste, qui peut répondre à leurs questions. Sa posture change : il n’est plus un simple reporter-TV mais incarne le reportage et remplace « les yeux et les oreilles du spectateur ».
Mais sans matériel spécifique, comment différencier visuellement le journaliste professionnel du citoyen désireux de diffuser ses propres images en direct ? Et comment garder la tête froide quand le buzz est à portée de clic ? Le manque de recul et l’enthousiasme presque euphorique autour du développement du mobile journalism ne permet pas encore d’en voir précisément les limites et les failles.