Médiacités : le marketing au service de l’indépendance
Ludovic Sere
Deux ans après son lancement à Lille, le pure player Médiacités est désormais présent à Lyon, à Nantes ainsi qu’à Toulouse. Composé d’une majorité d’anciens journalistes de L’Express, le site d’investigation locale a réussi à se faire un nom, grâce à une stratégie numérique originale. A l’occasion des Assises du Journalisme de Tours, Jacques Trentesaux, directeur de la publication et co-fondateur de Médiacités, a accepté de répondre à nos questions.
Vous dirigiez le service « Villes » de L’Express avant l’arrivée du patron de SFR, Patrick Drahi, à la tête du magazine. Pourquoi ne pas avoir tenté de développer l’investigation dans ce média ?
J’ai essayé de vendre un projet similaire à L’Express avant de partir. Je l’ai proposé à Christophe Barbier, directeur de la rédaction, qui m’a dit « oui », mais il ne s’est rien passé. Patrick Drahi était clairement venu à L’Express pour restructurer et non pour bâtir.
Quelle a été votre stratégie économique ?
Nous fonctionnons avec un modèle par abonnement, à 6,90 euros par mois. Nous avons pris le parti d’avoir un modèle payant, avec la publication d’une enquête une fois par semaine. De fait, nous savons que faire payer l’accès à notre site internet nous coupe d’une partie du public. Nous touchons, malheureusement, en priorité les catégories sociales supérieures ou bien des personnes engagées ou intéressées par l’actualité. Nous tenions à atteindre le nombre de 2 300 abonnés avant 2018. Nous n’y sommes pas arrivés, nous avons 1 300 abonnés pour le moment, même si nous commençons à avoir une petite renommée en dehors du microcosme journalistique. Mediapart a eu le même problème, jusqu’à ce qu’ils sortent l’affaire du majordome de Liliane Bettencourt en 2010.
Comment séduire au-delà de ce noyau dur d’abonnés ?
Nous jouons la carte de la rareté et de la qualité. Nous privilégions le travail de fond, sortons des enquêtes fouillées grâce à un réseau important de correspondants locaux mieux payés que dans la presse, en général. Et puis nous n’oublions pas la part de marketing. Les journalistes sont souvent faibles en marketing, ils ont l’impression qu’un bon article suffit à toucher des lecteurs. Une enquête, c’est le travail sur le terrain, mais c’est aussi le teasing avant la sortie et l’accompagnement ensuite. Nous devons montrer au public que l’investigation a un réel impact. Par exemple, après avoir prouvé que l’ancien directeur de l’Opéra de Lyon faisait passer des repas de luxe en note de frais à hauteur de 11 500 euros par mois, la Région a décidé de retirer 300 000 euros de subventions.
Qu’est-ce qui garantit l’indépendance éditoriale de Médiacités ?
D’abord l’ouverture du capital. Seuls 30% sont ouverts aux investisseurs, qui sont au nombre de 25. Ils ont donc tous des petites parts du média. Les 70% restants sont réservés aux fondateurs. Nous avons aussi rédigé, avec un avocat, un pacte d’actionnaires. Ce dernier stipule que le pouvoir éditorial reste dans les mains des fondateurs. Tous les actionnaires doivent signer ce pacte. Enfin, il y a une question d’éthique personnelle. L’indépendance n’est pas un état de fait, elle doit rester un objectif. Il faut d’ailleurs se méfier de ceux qui s’en prévalent.
Quelle relation entretenez-vous avec la presse quotidienne régionale ? Est-ce votre principal concurrent ?
Nous avons toutes sortes de retours, positifs ou négatifs. Certains viennent d’ailleurs vers nous pour nous proposer des sujets. Ils pensent que leurs médias n’accepteront pas des projets d’investigation. Nous ne sommes pas vraiment concurrents finalement, nous ne sommes pas sur le même terrain. Les entreprises de presse locale sont trop proches de leurs sources. Elles sont souvent liées par des partenariats, ou par la publicité, à différentes entreprises et institutions. La presse locale n’est pas dans les bonnes dispositions pour faire de l’investigation.