Rugby, patinage artistique, les affaires de violences sexistes et sexuelles (VSS) ont ébranlé le monde du sport. Longtemps, les fédérations sportives ont été accusées de protéger les agresseurs au détriment des victimes, sous prétexte d’une glorification de la performance. Vingt ans après l’affaire Cécillon, la culture du silence est-elle toujours de mise ?
« Un crime passionnel ». « Une star déchue ». « Un troisième ligne charismatique ». Tous ces termes ont été employés par la presse française pour décrire l’ancien joueur et capitaine du XV de France, Marc Cécillon. Pour qualifier un homme qui, en 2004, a tué sa femme, Chantal, de quatre coups de fusil tirés à bout portant. Qui avant de lui ôter la vie, l’a violentée pendant des années. Qui « exigeait des rapports sexuels avec elle à ses retours de beuverie », selon une source proche du dossier. Ce qui, juridiquement parlant, est qualifiable de viol.
Des victimes oubliées
Le traitement de ce féminicide a posé de nombreux problèmes, tant à cause du champ lexical employé que par la réception de l’information et le procès en lui-même. Une omerta qu’aborde Ludovic Ninet dans son livre L’Affaire Cécillon. Chantal, récit d’un féminicide, publié en 2023. Le constat fait par le journaliste est simple : Chantal Cécillon est une victime de féminicide « oubliée ». Les articles de journaux ne parlent quasiment pas d’elle, mais de son mari. Au procès, pas une seule photo d’elle n’est présentée dans les pièces à conviction. Le récit efface Chantal, la victime, au profit de son mari. Parce qu’il a à son actif 46 sélections avec l’équipe de France, dont cinq en tant que capitaine. Parce que “Marco”, c’est une petite star. Selon Ludovic Ninet, ce féminicide a entraîné un « étouffant silence, embarrassé et coupable du monde du rugby ».
« Vous avez détruit ma vie »
À la suite du procès, Marc Cécillon effectuera sept ans de prison ferme. Après cette affaire, on pouvait compter sur une prise de conscience du monde du sport. Espérer qu’il arrêterait de protéger des agresseurs, des violeurs, des pédophiles.
Janvier 2019 : Sarah Abitbol, patineuse artistique professionnelle publie son livre Un Si long silence, dans lequel elle accuse son ancien entraîneur Gilles Beyer de viols et agressions sexuelles entre ses 15 et 17 ans. La présentation de son livre est saisissante: « Vous étiez mon entraîneur. Je venais d’avoir quinze ans. Et vous m’avez violée. (…) Vous avez détruit ma vie. Je veux aussi dénoncer le monde sportif qui vous a protégé et vous protège encore au moment où j’écris ces lignes. »
Après ce témoignage, la prise de parole dans le monde du patinage artistique s’est un peu libérée. Les accusations de viols et de chantage sexuel contre Gilles Beyer se sont multipliées.
Le 6 février 2020, la démission de Didier Gailhaguet, patron de la Fédération Française des Sports sur Glace (FFSG), fait grand bruit. Cet homme, cette institution, étaient au courant depuis 2000 que Gilles Beyer avait des comportements problématiques avec les athlètes qu’il entraînait. Mais ils ont choisi de le protéger. En août 2020, les choses s’accélèrent. En plus de Gilles Beyer, 21 entraîneurs de patinage sont mis en cause pour des accusations de violences sexuelles selon un rapport du ministère des Sports.
Plus de deux tiers des victimes sont mineures
Après le témoignage de Sarah Abitbol, le gouvernement a enfin décidé d’agir. Face à cette hécatombe accablante, il fallait une réponse ferme. Décembre 2019 : lancement de la cellule Signal-Sports. Un dispositif qui sera resté confidentiel, au point que deux députées, Sabrina Sebaili (Nupes) et Béatrice Bellamy (Horizon) ont décidé de lancer leur propre plateforme : Balance ton Sport. Les résultats de cette dernière n’ont pas été communiqués à ce jour.
La cellule gouvernementale, quant à elle, comptabilise 1 284 individus accusés de violence depuis sa création. Environ 95% de ces derniers sont des hommes, et 77% des victimes sont des mineurs.
En janvier 2024, Amélie Oudéa-Castéra, ministre déchue de l’Éducation et actuellement ministre des Sports, a présenté les données de l’année 2023. 377 personnes ont été mises en cause. Et, chose particulièrement inquiétante, 31% des victimes avaient moins de 15 ans au moment des faits.
À l’annonce des résultats, Amélie Oudéa-Castéra a appelé à une « tolérance zéro », assurant qu’il n’y aurait « aucune excuse, même celle de la quête de médailles » pour justifier de tels faits. Mais elle a aussi reconnu les limites de la cellule de signalement, à commencer par son manque de notoriété.
À l’approche des Jeux Olympiques de Paris, la ministre souhaite mettre le paquet. Elle prône le renforcement du contrôle d’honorabilité qui étudie les comportements des professionnels et bénévoles qui évoluent au contact des athlètes en passant leur nombre de 3 900 par an à 6 000. Elle souhaite aussi créer 56 postes à temps-plein dédiés à la réalisation d’enquêtes sur le sujet des VSS dans le sport. Et même rallonger le délai de prescription des violences sexuelles.
Deux affaires majeures de VSS dans le monde du sport n’auront donc pas suffi à déclencher une réaction de l’Etat à la hauteur des enjeux, il aura fallu attendre que le pays accueille des Jeux Olympiques et soit sous le feu des projecteurs.
Frise chronologique : Les VSS dans le sport
Elisa Lenglart–Leconte