Depuis 2010, le gouvernement hongrois de Viktor Orban a créé une machine de propagande médiatique. Face aux centaines de médias pro-Orban, les rédactions indépendantes résistent et continuent leur travail. C’est le cas du site d’investigation Direkt36, dont Andras Petho est le co-fondateur.
La salle est comble. Plusieurs dizaines de personnes s’entassent pour venir écouter Andras Petho ce 19 avril 2024. Pendant trente minutes, le journaliste d’investigation, cofondateur du site d’enquêtes Direkt36 vient décrire la situation médiatique de son pays : la Hongrie. Tous les spectateurs du Festival international de journalisme de Pérouse (Italie) écoutent attentivement.
Des journalistes sous pression
Après la conférence, le journaliste s’avoue « impressionné par le fait que tant de personnes soient intéressées par le sujet ». Depuis l’accession au pouvoir de Viktor Orban en 2010, la situation de la presse empire dans le pays. « Tout l’écosystème informationnel en Hongrie a changé », remarque Andras Petho qui dénombre « plusieurs centaines de médias de propagande dans le pays » : des sites internet, radios, télévisions contrôlés plus ou moins directement par le gouvernement hongrois.
Le pouvoir en place dans le pays s’attaque aussi directement aux journalistes. En 2014, Andras Petho écrivait pour le site d’information Origo. Puis, « la rédaction a commencé à être sous pression. Nous n’avons pas cédé. Et mon rédacteur en chef a été poussé vers la sortie à cause d’un de mes articles. Je n’ai pas eu d’autre choix que de démissionner. »
« Quand il n’aiment pas ce que vous faites, il y a des articles dans les médias de propagande vous décrivant comme un agent étranger, un menteur. »
Andras Petho, rédacteur en chef de Direkt36 (média d’investigation hongrois)
Alors le journaliste décide de fonder le média Direkt36, dont il est aujourd’hui le rédacteur en chef. Le site internet publie des enquêtes sur « les politiciens, les liens entre business et politique, ou encore les questions de sécurité nationale ». Le journaliste n’est pas menacé frontalement par le gouvernement, mais subit « des campagnes de propagande, comme d’autres journalistes ». « Quand ils n’aiment pas ce que vous faites, il y a des articles dans les médias pro-gouvernement, vous décrivant comme un agent étranger, un menteur », ajoute-t-il. En 2021, une enquête révèle que deux journalistes hongrois ont été surveillés via le logiciel Pegasus.
Le gouvernement entrave aussi les enquêtes des journalistes en empêchant l’accès à des informations publiques. Andras Petho souligne que « les services de presse ne répondent pas à nos questions. Dans la plupart des cas, pour récupérer des données d’utilité publique, nous devons les poursuivre en
justice. »
Des campagnes de propagande puissantes
Autre difficulté dans le travail de ces journalistes : la puissance de la machine de propagande hongroise. Par centaines, les médias pro-Orban diffusent des fausses informations, des éléments de langage. En exemple, Andras Petho cite l’inflation « hyper haute » que subit le pays, due à la « faiblesse de la monnaie hongroise ». Mais, grâce à une campagne de propagande, la plupart des citoyens ne mettent pas la faute sur le gouvernement. « On leur dit que l’inflation est une conséquence de la guerre en Ukraine, qui serait elle-même une conséquence de Bruxelles et des Etats-Unis », explique le reporter.
Il y a des campagnes de propagande qui attaquent les journalistes, mais aussi les opposants politiques. Dans sa conférence, Andras Petho pointe plusieurs exemples : un opposant d’extrême-droite accusé par des médias pro-Orban de s’être converti à l’islam, un autre de gauche de violence domestique, ou encore une lycéenne visée par plusieurs articles après ses critiques envers le gouvernement.
Le pouvoir hongrois a désormais des ambitions internationales : « en Slovaquie, mais aussi avec Euronews, comme révélé par une enquête que nous avons faite. » Des desseins qui inquiètent le journaliste : « La tendance que prend la situation de la profession en Hongrie est mauvaise. Et peu prometteuse pour le métier. »
Matthieu Launois