Le 27 juin 2023, Nahel, un adolescent de 17 ans, était abattu par des policiers pour avoir refusé de s’arrêter à un contrôle routier à Nanterre. L’affaire suscite une couverture médiatique importante, mais que beaucoup ont jugé partiale. Les Assises du journalisme de Tours sont l’occasion pour les journalistes de s’interroger sur le traitement médiatique des révoltes urbaines d’hier et d’aujourd’hui.
En 2005, la mort de Zyed et Bouna à Clichy-sous-Bois plongeait la France dans trois semaines de révoltes urbaines. Les deux adolescents âgés de 15 et 17 ans avaient tenté d’échapper à la police en se cachant dans une centrale EDF, où ils avaient été électrocutés. 18 ans plus tard, le jeune Nahel a trouvé la mort alors qu’il essayait de fuir la police, déclenchant une semaine de révoltes urbaines partout en France. L’histoire se répète, mais la société et les médias y répondent différemment.
Erwan Ruty est directeur du MédiaLab93, un média de quartier situé en Seine-Saint-Denis. Pour lui, les causes des révoltes urbaines de 2005 et de 2023 sont les mêmes, mais ne produisent pas les mêmes effets. Les événements de 2005 ont été, à son sens, le déclencheur d’une remise en question de la société et d’une recherche d’amélioration des conditions de vie dans les quartiers populaires. De grands projets de rénovation urbanistiques par l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU) ont alors vu le jour pour donner un nouveau visage à ces quartiers.
« Une effervescence journalistique »
Le directeur de MédiaLab93 décrit l’après 2005 comme « une effervescence journalistique : Plein de choses sont nées, de la culture, des morceaux de rap et tout le monde avait un avis sur ce qu’il fallait faire pour améliorer la vie dans les quartiers ». Dans ce contexte, il raconte que les pouvoirs publics ont commencé à apporter leur soutien à des initiatives locales qui vivotaient difficilement jusque-là. Des médias et des associations souvent liées aux cultures urbaines et au hip-hop se sont ainsi développées et institutionnalisées.
Le Bondy Blog est l’un de ces médias participatifs et locaux créés à la suite des révoltes urbaines de 2005. Né de l’initiative de Serge Michel et Mohammed Hamidi, le Bondy Blog se propose de raconter les histoires et les espoirs des habitants des quartiers prioritaires. Premier pure-player français, ce média en ligne est aujourd’hui dirigé par Helena Berkaoui qui rappelle qu’en 2022, 15 personnes sont mortes sous les coups de la police française et estime qu’il est, plus que jamais, nécessaire de former des journalistes de terrain.
Un climat inflammable
Mais le contexte sociopolitique français a changé depuis 2005, et les révoltes urbaines de 2023 n’ont pas provoqué l’effervescence culturelle et médiatique observée par Erwan Ruty en 2005. C’est plutôt une surenchère policière que le directeur de Médialab 93 observe aujourd’hui. Pour lui, l’atmosphère autour des quartiers est aujourd’hui bien plus inflammable qu’elle ne l’était il y a 18 ans.
Les intervenants s’accordent à expliquer cette dégradation par la rencontre de divers éléments, dont la détérioration des conditions de vie et le retour de la misère dans les quartiers prioritaires avec des familles qui peinent à se nourrir, s’habiller et à accéder aux mobilités. Pour Akli Alliouat, directeur de Kaïna TV, dédiée à l’éducation populaire à Montpellier, le manque de politiques jeunesse dans les quartiers prioritaires alimente la misère sociale et l’enclavement des quartiers. S’ajoute à cela la banalisation croissante des discours d’extrême droite notamment grâce à des chaînes d’information telles que CNews : « En 2005, il n’y avait pas de Vincent Bolloré pour jeter de l’huile sur le feu » estime Erwan Ruty.
Une déshumanisation des jeunes de banlieue
Helena Berkaoui met en garde contre les dangers du récit policier, souvent issu de syndicats dont le but est précisément de défendre la profession. La rumeur d’un casier judiciaire de Nahel « long comme le bras » évoquée sur CNews par la journaliste proche de l’extrême droite Charlotte d’Ornellas- alors que celui-ci était vierge, illustre ce phénomène. Ces discours contribuent à déshumaniser les jeunes de banlieue, qualifiés par exemple de « nuisibles » et de « hordes sauvages » par un communiqué conjoint des syndicats de police publié sur twitter le 30 juin 2023. Toute forme d’empathie à l’égard de ces jeunes et de leurs revendications devient alors compliquée.
Enfin, c’est la perception de ce qui est violent ou non qu’interroge la journaliste : « Quelle colère est légitime ? », questionne Helena Berkaoui. « Les agriculteurs peuvent avoir des modes d’action extrêmement violents.” Un sentiment d’inégalité criante de traitement que déplore la journaliste face à des modalités d’action analogues. Pour la rédactrice en chef du Bondy Blog, la focalisation sur la violence occulte la dimension politique des revendications, bien présente dans le mot d’ordre « justice pour Nahel ».
Savannah Ruellan
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Émilie Mayen