Selon le dernier classement mondial de la liberté de la presse publié par Reporters Sans Frontière (RSF) en 2023, la presse est sous pression dans les pays du sud de la Méditerranée. Régimes autoritaires ou contraintes économiques, le journalisme de sport ne semble pas échapper à cette réalité. Ces difficultés ont fait l’objet d’une conférence animée par Frédéric Suteau, rédacteur en chef adjoint du service des sports de RFl lors de la première matinée des Assises du journalisme de Tours.
Tandis que les derniers constats de RSF montrent que les médias manquent largement d’indépendance dans la région MENA, la conférence permet de s’interroger sur la situation spécifique du journalisme de sport. Mehdi Dahak, fondateur du média indépendant algérien DZ Foot, s’avance sur le sujet : « En général pour le sport, on est relativement épargné ».
Mais rapidement, les différentes voix à la table s’élèvent et dépeignent une position plus complexe vis-à-vis des institutions politiques. Au-delà de l’instrumentalisation des résultats sportifs, c’est bien la censure de leur contenu que les journalistes craignent. Face à cette menace, tous les sujets ne sont pas égaux, admet Mehdi Dahak : « Quand on est dans le commentaire, on n’a pas de soucis. Mais dès qu’on fait des enquêtes, qu’on touche aux institutions ou qu’on parle des affaires de corruption, on sait qu’on peut être dérangés ».
Ce sont aussi les prises de position du public qui peuvent gêner les pouvoirs politiques. Youssef Chani, journaliste de sport chez 2M, la chaîne de télévision semi-publique marocaine, revient sur les revendications entendues lors de l’African Football League : « En octobre dernier, les supporters marocains ont chanté une chanson pour soutenir le peuple palestinien ». « C’est pour cette raison que les stades peuvent poser un problème aux politiques », conclut Aziza Nait Sibaha, journaliste à France24 et fondatrice du média Taja Sport. Lorsque les médias véhiculent les messages des supporters, ils dépassent le cadre strictement sportif et touchent à des enjeux géopolitiques. C’est donc aussi à eux, relais de l’information, que les institutions peuvent s’en prendre.
Le sport face aux logiques de rentabilité
Autre difficulté pour l’autonomie de la presse : les logiques économiques qui dictent les sports valorisés à l’écran. « Dans le secteur privé, le traitement de l’information sportive est soumis à des objectifs de rentabilité, déplore Youssef Chani. Résultat : en Algérie, le football, qui plaît beaucoup, représente 90 à 95 % de la couverture médiatique du sport, selon Mehdi Dahak. “Alors que l’Etat, lui, se doit de montrer tous les sports », précise-t-il.
Lors de la conférence, tous s’accordent sur le cercle vicieux entretenu par les médias : plus on parle d’un sport, plus cela marche en termes d’audience. Il y aura donc plus d’argent consacré à ce sport ce qui entraîne sa plus grande diffusion. Aziza Nait Sibaha résume : « Si on couvre, le public suit ».
Pour Mehdi Dahak, cette question de l’audience doit aussi être mise en lien avec le modèle économique des médias : « En ce qui nous concerne avec DZ Foot, on se finance exclusivement avec la publicité. Donc, forcément, il faut faire de l’audience ». Ainsi forcés de se soumettre aux logiques publicitaires, les médias sont bien souvent perdants pour Youssef Chani : « Il y a toujours un degré de concession à prendre en compte ».
« Surmonter les obstacles »
Face aux menaces qui pèsent sur la liberté de la presse, y compris dans le sport, différentes institutions ont leur rôle à jouer. C’est le cas de l’Union européenne qui soutient le programme Sahafa Med, portée par l’association Journalisme et Citoyenneté. Le but : favoriser un journalisme indépendant dans les pays du sud de la Méditerranée. Les initiatives comme celles-ci sont essentielles pour faire vivre les médias dans la région MENA. À cet égard, Mehdi Bahak rappelle la réalité des journalistes qui l’entourent : « On a moins de financements qu’en Europe et donc on a besoin d’aide »
Plus vulnérables aux pressions politiques et économiques, les journalistes du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord n’ont pas d’autres choix que de « surmonter les obstacles », pour garantir la diffusion d’une information libre et de qualité. C’est notamment le point de vue défendu Youssef Chani : « Personnellement ce que je crains, c’est l’autocensure. Quand il y a des soupçons autour d’une affaire, il faut toujours y aller peu importe les risques », estime le journaliste marocain.
Pas de doute donc : l’indépendance dans la région MENA reste un combat quotidien, y compris pour les journalistes de sport.
Emilie Mayen