Indépendance, investigation locale et participation citoyenne, une gageure en temps de crise sanitaire ? Le cas de Mediacités

Déc 15, 2020 | Articles |

Schnyder Jonas

Lancé à Lille en 2016, Mediacités est un pure player indépendant d’investigation locale. Défenseur d’une plus grande transparence des institutions politiques, il a mis en place plusieurs outils de suivi des politiques locales et de participation citoyenne. Des objectifs ambitieux pour un média qui, malgré les mesures sanitaires liées à la pandémie de Covid, a su s’adapter pour affirmer d’autant plus fort son projet journalistique.

Mediacités, c’est l’histoire d’une soif d’indépendance. En 2016, le journal L’Express est racheté par l’opérateur de téléphonie SFR-Numéricable, propriété de l’homme d’affaire PatrickDrahi. Une histoire de gros sous et un virage dans la rédaction qui pousse cinq journalistes du service d’enquête régionale à voir dans le plan social qui en découle une occasion de se lancer dans une nouvelle aventure plus en phase avec leurs aspirations. Avec deux autres journalistes, ils fondent Mediacités à la fin de l’année 2016. Dans les années qui suivent, le média s’ancre dans plusieurs villes françaises (Lille, Lyon, Nantes, Toulouse), avec pour objectif affiché d’être un contre-pouvoir des autorités économiques et politiques métropolitaines.

Indépendance et investigation au service de la démocratie locale

Dès ses débuts, Mediacités s’est fait porteur d’un projet politique assumé : revivifier la démocratie locale par l’investigation. Nicolas Barriquand, cofondateur et rédacteur en chef pour Lyon, raconte : « Dès le départ, on a revendiqué la défense d’un journalisme de qualité, indépendant du monde politique et économique, d’utilité publique, avec zéro publicité et un financement par le lectorat. Puis, au fil des enquêtes, on a fait face à certains dysfonctionnements du système politique et on a eu l’envie d’apporter de la matière aux débats. » De là, émerge une volonté de pouvoir confronter les acteurs économiques et politiques à leurs responsabilités, quels que soient les sujets, tout en évitant le piège de l’hyper-personnalisation de la politique.

Une démarche qui ne manque pas de mettre au jour les affinités et liens entre élus et médias locaux, notamment lorsque Mediacités dénoncent les agissements de certains politiques et que la presse locale prend défense de ces derniers. Pour autant, la concurrence n’est pas directe avec la Presse Quotidienne Régionale (PQR) ou avec les journaux nationaux, en particulier au niveau économique. Un atout qui n’est pas anodin, comme nous l’expose Nicolas Barriquand : « On a un peu le cul entre deux chaises en tant que média quatre fois « local », entre le local et le national. En ne nous finançant pas par la publicité, on s’évite le panier de crabes médiatique sur les parts de marché, les budgets publicitaires et la dépendance aux pouvoirs économiques locaux ».

Comme d’autres pure players, Mediacités mise sur l’indépendance et sur un renouvellement du lien avec le lectorat par une implication de leur audience, que ce soit pour financer le projet, pour contribuer aux enquêtes ou proposer des sujets. « C’est, comme d’autres pure players de cette dernière décennie, un média de niche qui a pour objectif de renouveler la relation au public, notamment en mettant en avant les principes de transparence, d’imputabilité, c’est-à-dire l’idée d’avoir à rendre des comptes et de répondre aux critiques, et de participation, dans le choix des angles, la coproduction ou l’organisation de rencontres », explique Emmanuel Marty, Maître de conférence en sciences de l’information et de la communication à l’Université de Grenoble Alpes. Un lien avec le lectorat qui se concrétise dans la volonté du média de l’impliquer de diverses manières dans son processus de production journalistique.

Faire face à la crise: se repositionner au plus proche du terrain

Quand le média, jeune d’à peine quelques années, se confronte au confinement de mars 2020, il subit, comme tout le monde, le choc d’une vie quotidienne contrainte et contrôlée. Mais, plutôt que de faire dos rond, Mediacités réoriente son activité pour coller au terrain. Avec l’apparition d’une rubrique « Reconfinement », le lectorat peut dorénavant suggérer des sujets d’enquête sur les initiatives locales qui ont vu le jour pendant le confinement, et l’investigation reprend de plus belle. « On avait la tête dans le guidon des élections municipales et on a été abasourdis par ce confinement. Mais on a réussi à repositionner notre site en moins de 48 heures, notamment avec le projet « Nos villes », qui a gagné le Prix Innov’ du festival Médias en Seine 2020. On s’est réorganisés en fonction de la situation pour retrouver une utilité en tant que média. Cela a été possible parce que nous sommes une petite structure, un média en ligne, et en étant indépendant financièrement, on a pas été impactés par la dégringolade des budgets publicitaires », raconte Nicolas Barriquand.

Le projet ambitieux de cette année 2020, c’est Radar. Cette application gratuite propose de contrôler l’action des élus en faisant un suivi de leurs nombreuses promesses de campagne sur l’ensemble de leur mandat, soit de 2020 à 2026. Une idée qui vient du terrain, comme nous le raconte Mathieu Périsse, journaliste et collaborateur pour Mediacités à Lyon : « En travaillant sur diverses enquêtes ces dernières années, on a réalisé qu’il y a une accumulation de promesses qui n’ont pas été tenues, sans qu’on s’en rende forcément compte. Et la tendance du journalisme à être chassé par l’actualité fait qu’on passe rapidement à autre chose et qu’on oublie. Or, que ce soit anecdotique ou non, c’est dans tous les cas politiquement problématique, surtout quand les élus ne justifient pas leur inaction. C’est là qu’intervient Radar pour faire exister un registre public de ces promesses et forcer les élus à rendre des comptes aux citoyens. »

 

Le temps exceptionnellement long de l’enquête et l’ampleur de la tâche rendent la participation citoyenne nécessaire, en particulier pour la récolte d’informations de première main (procès-verbaux, documents officiels, …). Comme l’expose Mathieu Périsse, Mediacités fait « le pari qu’une partie de nos lecteurs est intéressée à participer pour avoir prise sur les décisions publiques, veut participer à ce processus de fabrication collective de l’information. Cela nous fournirait une force de frappe importante, avec, pour nous, l’enjeu de pouvoir les encadrer et faire un travail de qualité ». Une participation qui, même si elle reste minoritaire, se veut réelle. Mais une collaboration qui implique cependant un encadrement clair et qui ne remet pas en question les spécificités du métier de journaliste : « On veut pouvoir faire appel à l’expertise des lecteurs, mais ça ne veut pas dire que tout le monde peut être journaliste. On est complémentaires », poursuit-il.

En attendant d’être en mesure de faire un bilan de ces projets de longue haleine, Mediacités tente de gérer le précaire équilibre économique qui lui permet d’exister, heureusement, parmi d’autres, comme nous confie Mathieu Périsse : « De Mars Actu [Marseille], au Poulpe [Rouen], à Place Gre’Net [Grenoble], on est plusieurs à se dire qu’il y a un vrai besoin d’enquête et que ça peut être viable, et ça c’est hyper encourageant ».