Comment mieux rémunérer les journalistes sur le web ?
Le débat déchaine les passions depuis 2 ans dans les hautes instances européennes. L’établissement de droits voisins au droit d’auteur, applicables aux environnements numériques est une nécessité pour la Commission européenne. Une initiative qui divise les professionnels de l’information.
Julia Beaufils
Alors que la presse traditionnelle vit une crise aux multiples aspects, le web, lui, fleurit. Mais les grandes plateformes numériques ont absorbé les revenus publicitaires. Par conséquent, ceux de la presse ont chuté de plus de 40%, selon le cabinet d’étude Bearingpoint. Les entreprises cherchent donc à réduire les coûts de production de l’information. Et en bout de chaîne, les journalistes font face à une précarité inédite. L’Union européenne, dans un mouvement réformiste, souhaite rééquilibrer le partage de la valeur entre les différents acteurs du secteur.
L’article 11 de la directive sur « le droit d’auteur dans le marché unique numérique » permet aux fournisseurs de contenu, titulaires des droits, d’être mieux rémunérés par les grandes plateformes du web. L’idée : dans la mesure où les entreprises de presse fournissent du contenu aux géants de l’internet, ces derniers devraient partager avec elles les revenus générés par la publicité.
Selon Céline Schoen, basée à Bruxelles pour la Correspondance de la presse et médiatrice lors de l’atelier des Assises dédié aux droits voisins, « les co-législateurs, Parlement et Commission, ont eu du mal à se mettre d’accord ». Elle ajoute : « le mois dernier, une entente entre les deux parties a été trouvée ». Mais le vote définitif au Parlement européen n’est prévu qu’au printemps prochain.
Le journaliste : un auteur ?
Le droit d’auteur est une composante du code de la propriété intellectuelle. Établi au début des années 90, ce code n’aborde pas les questions de rémunération pour les auteurs de contenus web. Ce droit est composé de deux applications distinctes : les droits moraux et les droits patrimoniaux. Les premiers ne peuvent être cédés. Les seconds, en revanche, sont ceux qui génèrent du revenu et qui peuvent, sous forme contractuelle, être concédés en partie ou intégralement.
Depuis 2009 et la loi Hadopi 1, les journalistes ne sont pas considérés comme des auteurs. Selon les textes, ce sont les entreprises de presse qui « emportent (la) cession à titre exclusif (…) des droits d’exploitation des œuvres du journaliste réalisées dans le cadre de ce titre, qu’elles soient ou non publiées ». En clair, le journaliste est payé en salaire non pas en droits d’auteur. Cette cession systématique des droits d’auteur génère de nombreuses difficultés financières chez les professionnels. Seule exception : lorsqu’un groupe de presse réutilise un article dans un autre de ses titres.
À l’ère du web, un article papier se retrouve également très souvent en ligne. Le journaliste n’est pourtant pas rémunéré pour cette réexploitation de son travail. L’absence de distinction entre supports de diffusion et « titres de même famille » entretient un flou, au bénéfice des entreprises. Les journalistes, en revanche, font face à une précarisation de plus en plus importante. « 17 % des journalistes déclarent cumuler plusieurs situations contre 12 % en 2013 », signale « l’enquête exclusive sur les journalistes » de la Société civile des auteurs multimédia (Scam). Le rapport précise même : « 62 % des journalistes se considèrent auteurs ou autrices. C’est 9 points de moins que dans l’enquête 2013. » Une baisse, selon la Scam, en partie « liée à la dégradation des conditions d’exercice du métier ».
Vers une meilleure rémunération ?
La mise à jour des droits voisins aux droits d’exploitation et leur extension au numérique « ne va pas mettre à genoux les GAFAM » ironise David Assouline, vice-président socialiste du Sénat. Il souligne que « cette loi permettrait de ramasser près de 300 millions d’euros pour la presse ». De l’argent dont elle a cruellement besoin si elle veut survivre.
Des questions persistent : comment répartir l’argent ainsi généré ? Et favoriserait-il le pluralisme et la qualité de l’information diffusée ? Jean-Christophe Boulanger, Président du Syndicat de la Presse Indépendante d’Information en Ligne (SPIIL), estime que « le pouvoir suit l’argent ». Il doute de l’indépendance de médias financés par des Google, Facebook ou autre Amazon. Hervé Rony, directeur de la Scam, abonde de manière plus nuancée. Selon lui, il ne faut « pas que ça profite qu’aux gros, mais aussi aux petits éditeurs. Il faut construire demain une gestion collective des droits des journalistes ».
Le vote définitif du mois prochain sera l’étape suivante de cette régulation des modes de rémunération des auteurs sur internet. Mais sa traduction à l’échelle des nations risque de susciter, là aussi, de nombreux débats.