Les articles par algorithmes, l’équation gagnante ?
Des algorithmes pour générer automatiquement des articles : c’est presque devenu (cyber) monnaie courante de nos jours. Du côté de la profession journalistique, le procédé fascine autant qu’il inquiète. Et quelles conséquences pour le lecteur ? Pour Lisa Gibb (Associated Press) et Gary Rogers (Urbs Media), fervents défenseurs du journalisme par algorithmes, il n’y a que du bon.
Félix Gabory
Des algorithmes pour générer automatiquement des articles : c’est presque devenu (cyber) monnaie courante de nos jours. Du côté de la profession journalistique, le procédé fascine autant qu’il inquiète. Et quelles conséquences pour le lecteur ? Pour Lisa Gibb (Associated Press) et Gary Rogers (Urbs Media), fervents défenseurs du journalisme par algorithmes, il n’y a que du bon.
Le 13 avril, Lisa Gibbs (responsable partenariat à Associated Press) et Gary Rogers (rédacteur en chef d’Urbs Media) animent une conférence dont le thème à l’intitulé quasi-futuriste contraste avec le décor feutré de l’Hotel Brufani qui accueille la douzième édition du Festival international de journalisme (Pérouse, Italie). L’intitulé en question : « écrire pour les robots ». Si futuriste que ça ? Pas vraiment. Car il ne faut pas se fier au dessin d’un petit robot humanoïde qui s’affiche en grand sur la présentation concoctée par les deux intervenants. Au risque de décevoir, un « robot-journaliste » s’apparente plus à une série d’algorithmes qu’à un automate capable d’écrire des articles sans intervention humaine. Et il a déjà fait ses preuves. Economie, météo, sport… Nombreux sont les domaines où des articles sont générés automatiquement à partir de données insérées dans un modèle d’article préétabli. Au sein de la profession, ces « robots » interrogent. Mais quid des premiers concernés, les lecteurs ?
Gary Rogers, rédacteur en chef d’Urbs Media, entreprise qui propose des algorithmes à de nombreux titres de presse, est catégorique : le lecteur en sort gagnant. En tête des apports bénéfiques d’un tel procédé : la possibilité d’obtenir toujours plus d’« histoires » différentes : « les robots couvrent des sujets qui n’auraient jamais pu être couverts sans eux », affirme Gary Rogers. Faute de temps, de moyens, ou les deux en même temps, les rédactions n’ont pas la capacité de générer un nombre infini d’articles. L’humain a des limites. Le robot n’en a pas. Et au bout de la chaîne, c’est le lecteur qui accède à une offre enrichie.
Et à Gary Rodgers de renchérir : « les articles produits par les robots sont sur la santé, les transports, l’éducation, l’économie et même les résultats d’élections ! » C’est justement à l’occasion des élections régionales de 2015 qu’un article a pour la première fois été rédigé par des algorithmes en France. L’œuvre du Monde, qui permettait à ses lecteurs de consulter les résultats commune par commune, dans la soirée après la fermeture des bureaux de vote. Ceux-ci relevaient de milliers de données, impossibles à traiter pour un journaliste « humain » en si peu de temps.
« Une expérience journalistique très humaine »
Vient la question du ressenti. Le rôle des journalistes n’est-il pas, en définitive, d’expliquer un fait ? De livrer une interprétation à son lecteur ? Cette crainte de voir fleurir des articles standardisés, dénués d’humanité, Gary Rogers a l’habitude de s’y confronter. « Dans ces articles, le ressenti du journaliste pourra être perçu. Mais cela dépendra de l’efficacité du journaliste à écrire le template. » Le template est le modèle d’article à constituer pour y insérer des données. Il s’agirait du nœud du problème pour ne plus « craindre » les robots, selon le journaliste. « Il faut en être conscient : l’histoire est toujours écrite par le journaliste. Elle est simplement produite et adaptée de manière automatique. » En clair, c’est toujours l’humain qui choisit quelle donnée il veut mettre en valeur. C’est l’humain qui décide de la manière dont il veut construire son article. C’est l’humain qui choisit les phrases qu’il va utiliser. « C’est toujours le ‘vrai’ journaliste qui raconte l’histoire et qui définit son angle d’attaque », résume Gary Rogers. « En somme, c’est une expérience journalistique très humaine ! », lâche-t-il.
Un bémol est toutefois identifiable avec l’exemple des articles sportifs. En sport, une donnée est primordiale et n’est pas transcriptible à l’informatique : l’atmosphère autour d’un match ou d’une compétition. Avec ça, c’est tout ce qui fait l’essence du sport qui disparaitra. « Comment un algorithme peut-il savoir si une équipe l’emporte avec quatre buts chanceux ou injustes ? », s’interroge-t-il. Gary Rogers en est conscient : c’est un « challenge » encore à relever. Mais il semble avoir la clef pour y répondre. « Là encore, ce sera au journaliste de s’adapter et de savoir ce que les données sont capables de nous dire… mais aussi ce qu’elles sont incapables de nous transmettre. »
Dernière interrogation : la réaction des lecteurs en voyant un « rédigé automatiquement » en bas de chaque article. Forcément, ça peut froisser. « Certains médias préfèrent signer l’article simplement avec le nom du journaliste qui a rédigé le template », argumente Gary Roger. « C’est une histoire rédigée par un humain avec la seule assistance de la technologie. Et ça, les lecteurs doivent le comprendre… »
Les journalistes : premiers lecteurs, premiers séduits
Mais les premiers consommateurs d’actualité, ce sont les journalistes eux-mêmes. Lisa Gibbs, présente aux côtés de Gary Rogers lors de la conférence, est justement responsable « partenariat d’actualité » dans la plus grande agence de presse au monde : Associated Press (AP). Depuis quelques années, elle pilote la stratégie d’AP pour l’automatisation des dépêches à destination des rédactions abonnées à l’agence de presse. Ici, les journalistes deviennent lecteurs de dépêches générées par des algorithmes. Et pour Lisa Gibbs, le procédé convint les premiers intéressés : « les journalistes abonnés à notre fil d’actualité ont accueilli cette nouvelle forme de production avec enthousiasme », assure-t-elle. A condition que le nombre de journalistes embauchés ne soit pas impacté, bien sûr.
Parmi les plus conquis, selon Lisa Gibbs : les journalistes locaux. Grâce aux robots, les « petites » rédactions peuvent bénéficier d’informations très spécifiques. En tête, les « earning stories », ces articles à visée économique (notamment les résultats des entreprises) cités à de multiples reprises au cours de la conférence. « Pour les articles business, les robots sont très utiles et très appréciés », clame celle qui a été élue journaliste économique de l’année 2016 selon TalkingBizNews. « Ce sont des articles avec un flux conséquent de chiffres en tout genre », détaille-t-elle. « Souvent, nos journalistes peinent à percevoir quels chiffres sont pertinents. Là, c’est l’algorithme qui s’en chargera… Sans faire perdre de temps au rédacteur. »
Le temps. Un gain fondamental pour le journaliste. Et par conséquent pour le lecteur. Ne pas perdre de temps à rédiger une multitude d’articles factuels et répétitifs, c’est s’offrir la possibilité d’aller faire des reportages de fond. Moins de factuel, plus d’enquête ou de terrain : un abandon du journalisme quantitatif au profit d’un journalisme qualitatif. Rédacteur et public, tout le monde y gagnerait.
Manque de contexte et erreurs
Mais de son propre aveu, les robots-rédacteurs ne font pas non plus l’unanimité auprès des lecteurs -ou clients- d’Associated Press. « Si certaines rédactions qui reçoivent nos earning stories (nos dépêches économiques, ndlr) sont très heureuses car ils n’en recevaient pas autant avant, d’autres sont plutôt mitigées quant à la qualité de ces articles ». Parmi les facteurs de mécontentement, le manque criant de contextualisation des chiffres. Des données économiques parfois abruptes et pas reliées à la situation de l’entreprise. « Les technologies ont encore beaucoup évolué depuis que nous avons lancé notre programme », se défend Lisa Gibbs. « Il est temps d’y apporter un regard nouveau pour voir si nous pouvons rendre nos histoires encore meilleures ! »
Parfois, les robots peuvent provoquer un tollé. Comme ce 21 juin où Quakebot, le robot-journaliste du Los Angeles Time, annonce un tremblement de terre. Problème : le séisme en question date de… 1925. Fakes news. Lisa Gibbs, elle, dédouane le robot : « S’il y a erreur, c’est simplement que quelqu’un a entré la mauvaise donnée », explique-t-elle. Car s’il y a bien quelque chose à retenir de la conférence conjointe de Lisa Gibbs et de Gary Rogers, c’est qu’avec ce type de robot, c’est bel et bien l’humain qui a le contrôle. Avec ses limites… Mais tant mieux !