Désinformation et rupture de confiance : quelles solutions ?
« Le public doit avoir accès à une information vérifiée ». Voici ce qu’a déclaré Chris Elliott, directeur du Trustee Ethical Journalism Network (EJN). Encore faut-il s’en donner les moyens. C’est ce qui ressort des conférences consacrées au sujet, lors du festival international du journalisme de Perugia. Une occasion pour tous les journalistes présents de s’exprimer sur le problème de la désinformation, qui va bien plus loin que les fake news. Et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il divise quant à son traitement.
Léo Corcos
La désinformation est discutée dans sa nature même. Ces derniers mois ont mis en avant l’existence des « fake news », un phénomène qui n’est pas nouveau, mais qui est devenu le visage du problème. Une représentation qui ne met pas tout le monde d’accord dans le monde médiatique. Declan Hill, journaliste et docteur en criminologie, connu pour ses travaux sur la corruption dans le football, réfute l’idée de fake news. Pour lui, “c’est un non-sens, un argument des puissants pour expliquer leurs échecs, comme l’élection de Trump ou le Brexit”. Surtout, il s’interroge sur la pertinence du terme, car il y a toujours eu “des vraies et des fausses histoires. Aux débuts de la presse, on a imprimé la Bible, mais aussi des histoires folles sur la fin du monde”. D’où l’idée pour le journaliste, même en temps de crise, de se battre pour la vérité, la diffuser, et surtout reconnaître ses failles. Selon Declan Hill, la méfiance généralisée à l’égard du journalisme existe depuis “la fin de la guerre froide. On ne peut pas blâmer les gens. Dire “fake news” c’est du non-sens : on a failli, on doit faire mieux”. Reste donc l’idée d’un retour aux bases du journalisme : persévérer pour l’honnêteté, la vérité, surtout quand les temps sont durs. Et (faire) changer les mentalités.
Changer d’angle d’attaque pour toucher le plus grand nombre
Le paradigme est le suivant : aujourd’hui, on voit une fake news, on la pointe du doigt. On ne s’intéresse donc qu’à des épiphénomènes de désinformation. Peut-être faudrait-il donc revoir, tout simplement, la copie. C’est en tout cas ce que propose Shane Greenup, fondateur de The Socratic Web et RbutR. Pour lui, il y a une “éducation médiatique” à revoir : “Fake news est une expression nébuleuse. Je parle de désinformation, quelque chose de bien plus grand qu’une fausse histoire”. D’où, dès lors, la nécessité pour le journalisme de changer son fusil d’épaule : plutôt que de dire aux gens ce qu’ils doivent penser, les encourager à interroger les événements et donc penser de façon plus critique. Comme l’a expliqué Ezra Eeman, chef du département digital de l’European Broadcasting Union, “la désinformation n’est pas nouvelle, c’est l’échelle qui a changé”. Ce qui implique donc de changer d’échelle et d’agir au niveau d’acteurs parallèles au journalisme : les plateformes comme Twitter et Facebook, les moteurs de recherche comme Google ou Bing. La raison est simple : ce sont eux qui atteignent le plus de personnes. Shane Greenup va dans ce sens, et demande notamment la création d’une autorité de confiance, un meilleur fact-checking, et surtout plus de ressources.
Augmenter les ressources pour prendre le rythme de la désinformation
Les ressources, un éternel problème pour le journalisme. Non content d’être dans un état précaire, il doit composer avec une concurrence aux moyens importants… et pas forcément journalistiques. Face à Google et Facebook, il est souhaitable de mettre en avant le travail des journalistes, par exemple en promouvant les contenus. Christina Elmer, directrice du département de datajournalisme pour le journal allemand Der Spiegel, souhaite “encourager le débat” autour des algorithmes. “Facebook promeut quelque chose de purement émotionnel, qui nous touche et nous montre ce qu’on a envie de voir. Ce sont de mauvaises chambres d’écho qui participent à la désinformation”. Selon Christina Elmer, s’il faut “pointer du doigt les algorithmes, les rendre visibles et en exposer le fonctionnement ”, le vrai travail du journaliste est de “faire comprendre ce qui est bon et ce qui ne l’est pas dans le flux d’informations ”. Plus que jamais, l’idée principale est d’atteindre les lecteurs et non leur intimer ce qu’ils doivent faire.
Pour un journalisme plus rigoureux
Se battre pour la vérité, pour la confiance des gens, s’attaquer au storytelling pour que les gens réfléchissent plus rationnellement : autant de choses qui renvoient à un journalisme plus précis et implacable. L’idée est de défendre la crédibilité du journalisme. A l’image des Décodeurs du Monde, Der Spiegel a créé un département dédié au fact-checking pour affiner la qualité des informations. Zeynep Sentek, journaliste pour le site web d’investigation The Black Sea, va plus loin. Prenant l’exemple de la Turquie, elle déplore l’autocensure, et promeut un “journalisme d’investigation qui révèle des aspects de la société, que les gens ont le droit de connaître”. Découvrir l’information et la transmettre, c’est le rôle du journaliste, sa responsabilité, et c’est ainsi qu’il aura la confiance du lecteur. Declan Hill, qui a travaillé en Irak à l’époque de l’entrée en guerre américaine, en tire une conclusion glaçante : “Des gens ont été tués à cause d’une fake news. Sans bon journalisme d’investigation, des gens meurent”.
Du bouillonnement du festival de Perugia ressort nettement la volonté de changer le paradigme médiatique actuel à l’égard de la désinformation. Tous les intervenants reconnaissent la crise de confiance envers la profession, et militent pour une façon différente de traiter le problème. Ezra Eeman résume : “Il y a plusieurs nuances de désinformation, mais une seule nuance de vrai. Il faut une vraie ligne éditoriale, et labelliser ce qui est fiable ou pas. Informer est plus efficace que s’attaquer à toutes les fake news une à une”.