Internet augmente-t-il la défiance envers les médias ?
Uniformisation des titres, des contenus et de la rhétorique… les mêmes mots reviennent parfois dans les articles des « grands médias » sur internet. La question a été largement débattue lors de ces 12e Assises du journalisme, à Tours.
Axel Chouvel
« Les médias, tous les mêmes ? », c’est la question que le monde journalistique se pose depuis trois jours à l’occasion des 12 e Assises du journalisme. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que la méfiance envers les journalistes est très forte : 69 % des Français pensent que les journalistes ne résistent pas à la pression des partis politiques et du pouvoir, selon le 32 e baromètre de la confiance des Français dans les médias pour La Croix. Plus récemment, une étude réalisée pour France Télévisions, France Médias Monde, Le Journal du dimanche et Radio France, montre que 53 % pensent que le mouvement des gilets jaunes a été mal couvert par les médias.
La multiplication des tâches et la précarité
Uniformisation des titres, des articles et de la langue : Internet aurait favorisé un discours dominant, qui alimenterait la défiance. « Les journalistes doivent se ré approprier leurs mots », affirme Dominique Pradalié. Avec internet, « on demande tout aux journalistes avec peu de temps. Depuis de nombreuses années, ils doivent assumer des tâches techniques qui freinent leur travail d’enquêteur», poursuit la secrétaire générale du Syndicat national des journalistes. Par manque de temps, le copier-coller devient progressivement la norme, au détriment d’un travail de qualité. Une situation qui est aussi une souffrance pour les journalistes eux-mêmes : selon le dernier rapport du cabinet Technologia , spécialisé dans la prévention des risques au travail, 37 % des journalistes cherchent actuellement un autre emploi. Ils sont aussi 50% à estimer que leur charge de travail a augmenté depuis cinq ans. Globalement, l’uniformisation des contenus sur les sites web les plus visibles entraîne inévitablement une défiance envers les journalistes. Le fameux « tous les mêmes ». Une proximité qui peut pousser de nombreux internautes à s’informer sur des sites ou des comptes de réseaux sociaux très peu fiables. « Il y a des bons et des mauvais sites internet mais il vaut mieux parier sur l’intelligence des gens, tempère Gilles Bastin, professeur de sociologie à l’Université Grenoble Alpes et co-directeur de l’Ecole de journalisme de Grenoble. La manipulation par Facebook et Twitter de leurs algorithmes est beaucoup plus inquiétante. » Les deux réseaux, dont le fonctionnement pousse les internautes à ne lire que les articles conformes à leurs opinions, sont en effet peu propices à élargir les horizons des publics.
« La presse d’information n’est pas vierge de toute orientation idéologique »
Pour sa part, Ingrid Riocreux, spécialiste de rhétorique et du langage des médias, explique qu’il ne faut pas nier la présence d’une idéologie chez les « grands médias », qu’elle définit comme les médias « que l’on est autorisé à citer dans une revue de presse ». « La presse d’information entretient le mythe de l’objectivité absolue, vierge de toute orientation idéologique et de toute volonté d’orienter son lecteur », écrit l’agrégée de lettres modernes dans son dernier livre Les marchands
de nouvelles (L’artilleur). En contrepoint, une presse prétendant faire de la ‘’réinformation’’ a émergé, avec des objectifs idéologiques concrets. Celle-ci « doit être dénoncée dès lors qu’elle reprend à son compte la prétention à la vérité », lance Ingrid Riocreux. Elle rappelle également, dans un entretien au Figaro Magazine , le rôle de la précarité de nombreux journalistes dans l’uniformisation : « Quand leur seule préoccupation est d’obtenir le renouvellement de leur CDD, quand il faut produire des articles à la chaîne sans avoir jamais le temps de se relire, forcément, on sert en permanence un discours pré mâché, avec les mots des collègues, un lexique réduit et idéologiquement orienté ». Alexandre Devecchio, journaliste débat au Figaro, ne dit pas autre chose et met en cause la situation hégémonique de l’Agence France Presse : « L’AFP a une situation de monopole qui soumet les journalistes, surtout sur le web, à la pression des ‘’hard news’’. On demande souvent de répéter ce que dit l’AFP et les journalistes sont par conséquent toujours connectés au fil de l’agence. ». Mais celui qui est chargé de la plateforme débat FigaroVox explique que l’uniformité est un problème plus large, inhérent au journalisme : « il y a une sociologie comparable dans les rédactions, ce qui renforce le sentiment d’homogénéité. »
Investir pleinement le numérique
Dominique Pradalié le rappelle : Internet, c’est aussi « l’apparition des pure players » qui « ont permis l’interaction avec les lecteurs. ». Le modèle de médias exclusivement numériques est pourtant trop souvent négligé en France, selon Mathieu Maire du Poset, directeur du Tank media , structure qui s’attache à favoriser l’émergence de nouveaux médias. L’ancien directeur adjoint d’Ulule remet clairement en question le modèle de financement public du secteur qui met en danger des médias alternatifs : « Aujourd’hui les aides à la presse nourrissent le maintien d’un modèle qui a montré ses limites. Gaver de millions d’euros Le Monde ou le Figaro empêche l’émergence des nouveaux modèles journalistiques. À cause de cela, un média comme Les Jours pourrait disparaitre alors que l’avenir est très certainement dans ce modèle.» Si internet est souvent pointé comme un facteur décisif de la défiance vis-à-vis des médias, il semble également en constituer une partie de la réponse. L’enjeu est en réalité la capacité des médias à mener une autocritique et à mettre en œuvre les évolutions jugées nécessaires.