L’IA, entre fantasmes et réalités du journalisme
Depuis son arrivée dans le milieu du journalisme, l’intelligence artificielle fascine autant qu’elle peut effrayer. Les robots vont-ils remplacer les journalistes ? Aux Assises du journalisme, cette année, la question a été posée.
Adrien Beaujean
Le 7 novembre dernier, l’agence de presse gouvernementale chinoise Xinhua présentait un journal télévisé un peu spécial. Son présentateur, en costume-cravate, face caméra, récitant son prompteur, n’existait pas réellement : c’était en fait un présentateur virtuel, piloté par une intelligence artificielle (IA). Une technique futuriste pour les uns, mais bien d’actualité pour d’autres, comme Éric Scherer, directeur de la prospective à France Télévisions. « L’IA, et les robots, peuvent venir en aide aux journalistes. L’idée, c’est de laisser le sale boulot aux machines ».
Un sale boulot, comme par exemple celui de compiler les résultats des élections départementales françaises de mars 2015. Pour cet événement, l’intelligence artificielle a permis de couvrir 36 000 communes instantanément. Mais comment ? « Concrètement, on produit automatiquement des textes à partir de données et ça peut aider les médias à couvrir l’exhaustivité », explique Claude de Loupy, cofondateur de Syllabs, une entreprise de production de contenus et de textes automatiques. « On peut très bien faire un compte-rendu d’un match de football, mais si le public descend sur le terrain, la machine n’en sait rien, elle est incapable de le retranscrire ». Sur ce point là, les journalistes peuvent souffler.
IA et (dés)information
L’intelligence artificielle allégerait donc la charge de travail des journalistes, mais pas que. « On souhaite éviter que les gens soient manipulés par les fake news », soutient Éric Scherer. « Un robot, c’est très très bête, mais ça réfléchit très très vite : ils adorent les fake news, parce que c’est énormément partagé sur les réseaux sociaux », souligne Benoît Raphaël, journaliste et éleveur de robots. « Au début, les robots de Facebook et de Google étaient mal éduqués et sont aujourd’hui devenus de véritables délinquants de l’information. On a eu du mal à atteindre le public avec de vraies news », ajoute Éric Scherer.
C’est donc aussi pour lutter contre les fake news que Syllabs, par exemple, travaille avec France Télévisions ou encore Le Monde. « On a également été sollicités par la Chine pour générer de faux avis et pour qu’on les aide à diffuser une propagande d’Etat », révèle Claude de Loupy. Et c’est ici que se situe le point névralgique des interrogations du public : le détournement de l’intelligence artificielle. « Il n’y a pas un risque de se faire déposséder de son métier ? », lançait une femme dans le public. « On est face au fantasme Terminator », ironisait le cofondateur de Syllabs. « On ne peut pas faire confiance à la machine dans sa capacité à interpréter les données ».
Le robot-journalisme, très loin de la SF
La machine permettrait donc de gagner du temps. Le site knowherenews.com, par exemple, produit quotidiennement des articles écrits par des robots. « Est-ce qu’on ne va pas perdre l’adrénaline du métier, de la recherche d’informations ? », s’interrogeait une étudiante en journalisme. « L’IA est déjà là, tôt ou tard on n’aura pas le choix de composer avec ou pas », répondait Éric Scherer. « Le lecteur sait-il que tel ou tel article a été écrit par un robot ? », lançait un membre du public à Claude de Loupy. « Systématiquement ? Non, certains ne le précisent pas », répondait le chef d’entreprise. L’IA est donc bien là, parfois sans que les lecteurs ne le sachent. Ce qui soulève inévitablement beaucoup de questions déontologiques et professionnelles, qui n’ont pas fini d’animer les débats.