Réalité virtuelle : une autre façon d’aborder les crises humanitaires
La réalité virtuelle et les vidéos à 360 degrés sont des supports de plus en plus utilisés par les journalistes pour couvrir les crises humanitaires. Leurs réalisateurs aspirent à immerger le public dans une situation, de sorte qu’il la ressente mieux. Mais cette méthode est à utiliser avec précaution.
Justine Guitton-Boussion
De nombreux projets en réalité virtuelle (VR) sur les crises humanitaires ont vu le jour ces dernières années. Le réalisateur mexicain Alejandro Iñarritu a par exemple produit le film « Carne y Arena« , récompensé par un Oscar cette année. L’ONU développe également cette technologie. L’enjeu : mieux faire comprendre au public l’ampleur de certaines situations. Les journalistes se sont donc eux aussi emparés de ce support. Viktorija Mickute travaille pour Contrast VR, la plateforme de vidéos en réalité virtuelle du site d’Al Jazeera. « Grâce à ce média, on peut montrer toute la dimension des crises, affirme-t-elle. Quand vous regardez un reportage en VR, vous n’êtes pas seulement sur le lieu du reportage. Vous êtes l’un des personnages. Cela permet de mieux comprendre et ressentir la situation. »
Aela Callan est également journaliste pour Contrast VR. Elle est la productrice du film « I am Rohingya ». Selon elle, la réalité virtuelle est une autre façon d’aborder des sujets abondamment traités : « À force de voir tous les jours les mêmes images de personnes réfugiées, le public sature et n’y prête plus attention. C’est important de travailler avec des technologies immersives car elles offrent une version différente de l’histoire. »
L’importance du lieu
La réalité virtuelle est également un moyen de découvrir un lieu comme si on y était, à 360 degrés. Pour Joe Inwood, journaliste à la BBC, cet élément est même le plus important. Il a réalisé le documentaire « Mosul : fight against ISIS from the sky ». « Le vrai pouvoir des vidéos à 360 degrés, c’est de réussir à emmener le spectateur dans un endroit où il ne pourrait pas aller autrement, avance-t-il. Il s’agit davantage de montrer un lieu qu’un personnage. » Pour Joe Inwood, la VR et les vidéos à 360 degrés sont particulièrement adaptées pour évoquer un trajet, un voyage, une vie dans un camp, etc.
« Le seul accès à la réalité virtuelle n’est pas un argument suffisant pour s’en emparer », prévient cependant Marc Ellison, vidéo-journaliste. Il a reçu le prix de l’innovation d’Amnesty International en 2017 pour son reportage « House without windows ». Selon lui, avant de commencer un reportage en VR, chaque journaliste doit être en capacité de justifier cet usage : « Le lieu doit apporter un élément supplémentaire au sujet. Filmer une simple interview en face-à-face n’a aucun intérêt en VR. Si l’endroit n’apporte rien de plus au reportage, il faut utiliser des caméras traditionnelles. »
Une technologie en évolution
L’argument de l’innovation technologique permettrait également une meilleure promotion d’un sujet. Viktorija Mickute assume parfaitement cet aspect : « La VR peut attirer quelqu’un qui ne regarde pas les informations habituellement, qui ne croit plus dans les médias, ou qui cherche de nouvelles façons d’aborder un sujet. La réalité virtuelle aide les gens à s’intéresser à des histoires. »
Pourtant, la pratique de la réalité virtuelle et des vidéos à 360 degrés n’est pas encore très répandue. Mais les journalistes qui en sont adeptes maintiennent un discours enthousiaste : « Nous sommes dans un monde qui évolue, affirme Viktorija Mickute. Les casques à réalité virtuelle vont devenir moins chers. Et même sans casque, on peut regarder une vidéo à 360 degrés sur son téléphone. » Aela Callan poursuit : « La réalité virtuelle est au début de son voyage. La technologie va encore s’améliorer, les casques aussi. Dans le futur, la VR va être bien plus présente dans nos vies. Mais cela prend du temps. »
Une méthode trop immersive ?
Joe Inwood réfute l’hypothèse d’une réalité virtuelle trop intrusive : « Je pense au contraire qu’elle l’est moins qu’un documentaire de télévision traditionnel. On peut certes se déplacer à 360 degrés, mais on ne voit les personnes que de loin, sans précisément distinguer leurs expressions du visage. On ne voit pas le blanc de leurs yeux. »
« Notre but est de créer de l’empathie, rappelle Aela Callan. Mais si des journalistes créent du contenu sans réfléchir, juste pour faire de la réalité virtuelle, cela devient du « poverty porn ». Avant de faire de la VR, il faut se poser les mêmes questions d’éthique que pour n’importe quel autre support. » Viktorija Mickute renchérit : « Nous faisons du journalisme comme les autres. Seulement avec des outils différents. »