S’informer sur Snapchat et Instagram à l’ère des « stories »
Philippine Potentier
Depuis deux ans, les « stories » s’imposent sur les smartphones. Qu’est-ce ? Des vidéos courtes, disponibles pendant 24h, dans lesquelles se succèdent images et textes. En bref, il s’agit de délivrer une information de qualité en peu de temps et en peu de mots. Mais l’objectif est-il atteint ?
En novembre 2016 a lieu une petite « révolution » dans le paysage médiatique français. Le Monde, quotidien généraliste, débarque sur Snapchat. Habitué aux articles longs, Le Monde se lance un défi : publier une information de qualité, en très peu de temps et très peu de mots. Pour Olivier Laffargue, journaliste de la rédaction, « c’est une certaine gymnastique ». « Nous avons la contrainte du format et nous devons transmettre le maximum d’informations en un minimum de mots », admet-il. Par ailleurs, sur ces plateformes, chaque média tente de « conserver son ADN », confie Nicole Triouleyre, rédactrice en chef de l’application du Figaro.
Exigence et rigueur
Sur les réseaux sociaux comme Snapchat et Instagram, le ton des stories est léger. Pour autant, les contenus sont nombreux : images, textes, vidéos, infographies, sondages. Entre neuf et quatorze « slides » se succèdent en moyenne, selon une enquête de Marie Turcan pour le site internet Business Insider. Toutefois, le travail de recherche reste le même. Selon Chloé Woitier, journaliste médias au Figaro, ces stories sont « par nature très carrées ». « Elles parlent en nom du média, la responsabilité est donc grande », ajoute-t-elle. Olivier Laffargue confirme : « En se lançant dans l’aventure, on avait la même exigence pour distribuer l’information », insiste le journaliste. Et pour preuve, les stories sont soumises aux mêmes contrôles qu’un article traditionnel. Avant d’être publié, la vidéo est relue environ trois fois. « La qualité d’information est la même, sur une offre plus visuelle » précise Olivier Laffargue. Afin de tester la valeur journalistique de ce nouveau type de format, un journaliste, Bill Adair, s’est « nourri » de stories pendant une semaine. Bill Adair est professeur de journalisme politique et créateur de Politifact en 2007. Il a publié les résultats de son expérience dans un article publié en juin 2016 : « What happens when a 50-something journalist gets a week’s worth of news from Snapchat Discover ? » Il exprime sa surprise face à ces vidéos informatives. Selon lui, informations sérieuses et plus légères se complètent, et il estime ne pas être passé à côté de sujets importants. Il pose toutefois une question : quid de la visibilité de ces formats ? Depuis la mise à jour Snapchat en février 2018, les stories des médias sont disponibles dans l’onglet droit de l’application. Problème : elles sont noyées dans les publications des personnalités publiques, comme celles de Nabilla, ancienne candidate de télé-réalité. Par ailleurs, ce réseau social est de plus en plus délaissé, et concurrencé par Instagram, qui gagne du terrain.
Raconter une histoire
Le nom parle de lui-même, ces stories racontent aux lecteurs une histoire en image. Lors des Assises du journalisme de Tours, Aurélien Viers, journaliste pour l’Obs, explique que ce type de format est très prometteur et touche un public cible : les millenials. Surtout, grâce à ces nouvelles vidéos, le lecteur se transforme en acteur. En effet, ce dernier peut décider de consulter la story comme il le souhaite : aller d’avant en arrière, regarder avec ou sans son, etc. Le plus difficile dans ce type de format est donc de tenir le lecteur jusqu’à la fin. Via ces applications, les médias ont accès à un nombre précis de statistiques qui permet de savoir combien de personnes regardent les stories, image par image. Aurélien Viers révèle d’ailleurs que le taux de perdition est très important. Autrement dit, les stories qui sont jugées trop longues ne sont pas lues jusqu’à la fin. « Ce format induit un côté zapping », précise le journaliste.
Des stories éphémères
Pour le moment, ces formats ne sont disponibles que 24h sur les réseaux sociaux. Pour Aurélien Viers, cet aspect éphémère n’est pourtant pas un problème. « Le journalisme a toujours eu ce caractère éphémère, indique-t-il. « Il est très rare qu’une personne consulte deux fois le même contenu, que ce soit en télévision ou en radio ». Cette contrainte, Le Figaro a décidé de la déjouer. Le média a en effet fait le choix de développer les stories au sein de son application, et de les archiver. Mais finalement, comme le souligne Olivier Laffargue, ce format permet de répondre au principe de l’actualité chaude. Aujourd’hui, ce phénomène soulève la question du long terme. Ce type de format est-il apte à devenir pérenne ? D’après Chloé Woitier, « ce modèle reste encore trop instable ». « Les investissements se font pas à pas », concède-t-elle. La journaliste média s’interroge sur cet « effet de mode ». Pour Nicole Triouleyre, c’est la règle du jeu du web : savoir inventer et innover en permanence.