Le secret de production des podcasts
Julien Penot
A l’heure où les vidéos inondent les réseaux sociaux, un format audio et long a de plus en plus de succès : le podcast. Des productions très soignées, qui demandent une méthode de travail particulière. David Carzon, Mélissa Bounoua et Thibault Maugin, tous aux manettes de tels formats, livrent quelques clés pour réussir un podcast.
Trouver une histoire et un personnage
« Raconter la vie extraordinaire de gens ordinaires », résume David Carzon, directeur de la rédaction de Binge Audio, pour décrire le concept de Superhéros. Diffusé en quatre saisons, ce podcast créé fin 2016 met en valeur des personnes à travers leur récit. Le journaliste Julien Cernobori en est le responsable. Il passe son temps à chercher des histoires et ses personnages. Des anonymes qui sont capables d’exprimer et de décrire leur quotidien devant un micro. Le rôle du journaliste : veiller à maintenir un rythme pour ne pas lasser l’auditeur. « Julien accompagne l’histoire, la relance, appuie les propos et les met en valeur », décrit David Carzon. Des récits passionnants obtenus après de longues recherches. « Il arrive avec des idées de personnages, il nous raconte ce qu’il a envie de faire et puis généralement on lui dit “vas-y fonce” », sourit David Carzon, ancien rédacteur en chef à Libération.
Le personnage doit incarner le sujet et lui donner chair, à la différence du reportage radio où la parole est donnée à des intervenants avec un statut particulier. Le podcast tend le micro à des gens inconnus, avec une légitimité moins officielle. « On peut trouver d’autres sources d’information, avec des personnes qui racontent leur vécu. Pour la situation de la médecine rurale, j’ai suivi un médecin breton pendant trois jours », déclare Thibault Moulin, journaliste à Boxsons, plateforme de podcasts apparue en avril 2017.
S’affranchir du temps
Le temps est le principal atout du podcast. Ce format se libère du carcan très rigide des radios traditionnelles. De dix minutes à une heure, la durée des podcasts semble illimitée. Fragmentés en épisodes, comme des séries télévisées, les sujets sont traités en profondeur. « La contingence de la radio impose des limites. Mais en passant du temps, en laissant tourner le micro, les choses sont moins codifiées » décrit Thibault Mougin. Pour rentrer dans l’intimité de l’intervenant, le journaliste organise plusieurs rendez-vous. Des discussions et pré-interviews permettent une meilleure approche des interlocuteurs. Le travail en amont est similaire à celui effectué pour d’autres reportages, mais sur le terrain les journalistes restent plus longtemps.
« Lors d’un reportage dans un collège sur des militants SOS homophobie qui venaient sensibiliser les collégiens, j’ai passé une journée avec eux. J’ai pu faire en sorte que l’auditeur soit au fond de la classe, un peu en train de regarder ce qui se passe. Je trouve que c’est beaucoup plus fort que de dire “Bonjour, je suis à tel collège, voilà… ”, précise Thibault Mougin.
Scénariser une histoire à partir des rushs
Entre, un podcast produit par la plateforme Louie Média, vient d’inaugurer ses premières diffusions. La journaliste Charlotte Pudlowski mène tous les mercredis une interview d’une heure et demie avec une petite fille de onze ans, Justine. La collégienne se confie sur son passage en sixième et le tournant de l’adolescence. « L’objectif est que l’auditeur ait la sensation que Justine lui parle », déclare Mélissa Bounoua, cofondatrice de la plateforme. A l’écoute du premier épisode, la voix de Justine nous enrobe, donne l’impression d’être sans interruption. A de rares moments, la journaliste relance la conversation. Pour parvenir à ce résultat, « le montage demande des heures et des heures de travail. L’objectif est d’effacer la parole du journaliste. Des rushs d’une heure se réduisent à un épisode de 6 à 8 minutes », précise Mélissa Bounoua.
Créer une expérience sonore
« On tient à faire quelque chose de beau. Quand on retrouve le sujet envoyé par le mixeur, d’un seul coup tout est lissé », explique Thibault Mougin. Même sans image, l’esthétisme a son importance. Les podcasts en jouent. Musiques et sons d’ambiance accompagnent la parole des interlocuteurs. L’auditeur est coupé de son environnement. L’expérience sonore peut être très poussée: « Pour l’épisode “Superhéros” avec Vanessa, on avait organisé une séance d’écoute dans un théâtre, lumière éteinte. Le son amène l’image dans la tête des gens qui sont en train d’écouter. C’est exactement cela qu’on veut faire », conclut David Carzon.