Lancer son média : un pari risqué
Ils sont journalistes et estiment que la presse française est trop souvent partisane ou pas assez portée sur l’investigation. Ils ont décidé de mettre en place leur propre média web mais ont dû rendre les armes, faute de succès. C’était le thème d’un débat organisé lors de la première journée des Assises Internationales du Journalisme, à Tours.
Laura Gatti
À l’heure où le paysage médiatique se recompose et où les usages de l’information se transforment, l’auto-entrepreneuriat dans le monde du journalisme n’échappe pas à l’éventualité du flop. Les risque économiques, conjugués à ceux de l’impopularité, sont une épée de Damoclès au-dessus de la tête de ceux qui se lancent dans cette aventure. En 2018, de nombreux médias ont dû mettre la clef sous la porte, avec notamment les fermetures successives de Ebdo, Vraiment ou encore Buzzfeed. Sur le web, ils sont loin d’être les seuls à avoir connu l’infortune. Début 2017, Manuel Sanson et Gilles Triolier co-fondent Filfax. Les deux Rouennais partent du constat qu’en Normandie, il n’y a pas de média en ligne réellement porté sur l’investigation. Leur ambition ? « Créer un média qui décrypte et explore les coulisses du monde économique et politique », explique Manuel Sanson. Alors même qu’une grande partie du public consulte l’information sur le web, les deux co-fondateurs seront contraints de stopper leur projet, faute d’abonnés en nombre suffisant.
Ne pas négliger la stratégie
Créer un média nécessite d’investir de l’argent, mais aussi de penser à sa stratégie. Une fois l’argent investi, il faut que l’entreprise devienne rentable à moyen terme. Cela passe par de la visibilité, et le plus souvent des abonnements. D’année en année le mur payant, ou « paywall » comme on l’appelle dans la profession, s’est imposé sur la plupart des sites d’information français. « La cause principale de notre échec est qu’on a sous-estimé les stratégies commerciales visant à se faire connaitre et à chercher l’abonné », expliquent les fondateurs de Filfax. Avec du recul, les deux hommes affirment qu’il est préférable d’avoir moins de contenu au départ et de miser sur sa qualité pour mieux le vendre. « Il faut penser entrepreneur plutôt que journaliste », résume Gilles Triolier. Tout n’est cependant pas qu’une question commerciale. La question de l’entourage est également très importante. Manuel Sanson avoue en effet qu’au sein de la rédaction, les journalistes ont fini par se déchirer humainement : « On ne se connaissait pas assez. Pour mener à bien ce genre d’entreprise, il faut s’entourer de gens qu’on connait, avec qui il y a un feeling », avoue-t-il.
Conquérir des abonnés
Une expérience vécue par Candice Marchal, journaliste et co-fondatrice de Boxsons, avec Pascale Clark. Ce média sonore créé en avril 2017 s’impose comme le premier site payant de podcasts. Toutes deux partagent la frustration de ne pas faire assez de terrain et l’envie d’y retourner. Elles seront confrontées au même obstacle : le manque d’abonnés. « Les gens ne sont pas habitués à payer pour du son », explique Candice Marchal, déplorant que les gens veuillent une information indépendante mais ne soient pas prêts à payer pour l’obtenir. Là encore, les stratégies marketing ont leur importance. « Quand on lance un média, il faut s’entourer de non journalistes, de gens issus de professions différentes, capables d’aller chercher le public », soutient la journaliste. Si ces expériences se sont soldées par un échec, elles ont permis à ces journalistes entrepreneurs de se remettre en question, de prendre du temps et du recul pour de nouveaux projets. Tout l’enjeu pour l’avenir de ces médias est de parvenir à concilier envies personnelles et réalités du marché.