Avènement des voitures autonomes : la radio au point mort ?
Les voitures sans conducteurs, ce n’est plus de la fiction. Mais quelles pourraient être les conséquences sur les utilisateurs de la radio ? Pour Matthieu Beauval, chargé de l’innovation à Radio France, et Pierre Boucard, directeur de Sun Radio à Nantes, le média radiophonique doit opérer sa mue.
Félix Gabory
Premier réflexe en montant dans sa voiture le matin: allumer la radio pour s’informer. Maintenant, imaginez, vous grimpez dans votre voiture autonome et vous vous laissez guider jusqu’à votre lieu de travail. Les mains sont libres, le regard n’est pas fixé sur la route. Allumeriez-vous la radio alors que vous auriez tout le loisir de lire le journal ou de regarder un écran ? Le 20 novembre 2017, le premier ministre Edouard Philippe annonçait des « tests à grande échelle » des voitures autonomes dès 2018. Ce n’est qu’une question de temps avant que les voitures sans conducteurs n’envahissent nos routes. Une perspective incroyable pour les usagers. Et un casse-tête considérable pour les professionnels de la radio.
Pierre Boucard, directeur de Sun Radio : « Ne pas regarder les trains passer»
Sans cesse se renouveler pour que la radio parvienne à se réinventer, c’est une obsession pour Pierre Boucard. Directeur et fondateur de Sun Radio, basé à Nantes, il est considéré comme un pionnier en matière d’innovation. En 2007, sa radio associative est la première –avec Radio Classique- à utiliser le PS défiant (qui permet de faire défiler le titre d’une chanson sur l’interface de l’autoradio par exemple). Ce passionné de technologie a entamé une réflexion concernant l’avènement des voitures autonomes depuis déjà bien longtemps.
Le nerf de la guerre selon le fondateur de Sun Radio : « le développement de nouvelles relations avec les auditeurs ». Pour Pierre Boucard, le média radio ne doit plus être prescripteur avec des « algorithmes qui définissent des playlists » comme c’est le cas actuellement. « La clef pour pérenniser la radio ? Inclure l’auditeur dans le processus » clame-t-il. Pour Pierre Boucard, le modèle à suivre, ce sont les plateformes de Streaming. « La radio doit surfer sur l’attente de nouveaux usages plutôt que de diffuser des chansons sans se soucier des attentes de l’auditeur », souffle-t-il.
Pierre Boucard le reconnait : « Il existe une véritable crainte que le son soit délaissé. » Mais le Nantais est serein quant à l’avenir de la radio. « La radio est un média d’habitude, un média de rendez-vous », assure-t-il. « Donc pas de raison que les usagers désertent la radio si les contenus proposés sont de qualité ». Pour étayer son argumentation, Pierre Boucard prend l’exemple des transports en commun : « Dans le bus ou le métro, peu de personnes préfèrent regarder BFMTV sur le Smartphone plutôt que d’écouter une matinale radio ». Au cœur du débat se trouve la place accordée au local et la proximité avec les auditeurs, « la seule manière de fidéliser une audience large » selon le directeur de la radio associative.
« Ce qui me fait peur, ce sont plutôt quelques acteurs »
Pourtant féru de technologie, Pierre Boucard ne croit pas qu’une innovation technologique comme les voitures autonomes bouleversera le monde des médias. « C’est un peu comme le théâtre ou le cinéma, malgré toutes les avancées technologiques, ces deux arts ont survécu. »
Sa plus grande crainte, ce ne sont pas les voitures autonomes ou toute autre forme d’innovations. « Ce qui me fait peur, ce sont plutôt certains acteurs… », lâche-t-il. « La radio se considère comme un média dominant. Les grands groupes estiment que leur audience est acquise ». Dans la ligne de mire du Nantais, les « géants » qui « regardent passer les trains ».
Matthieu Beauval, justement, est chargé de l’innovation chez un « géant » : Radio France. A la question d’une prise de conscience quant aux potentiels dangers de l’avènement des voitures autonomes, sa réponse fuse : « Oh que oui… C’est un élément extrêmement important pour nous. » L’avènement des voitures autonomes, il y travaille depuis 2013. « L’écosystème de la voiture est capital dans notre réflexion pour l’avenir : c’est le premier lieu d’écoute de la radio. » Il n’hésite pas à comparer l’apparition des voitures autonomes sur nos routes avec l’arrivée d’internet il y a quelques années, tant les usages vont être profondément modifiés. Mais Matthieu Beauval l’assure, au sein de Radio France, tout est mis en œuvre pour franchir ce cap. « Nous travaillons étroitement avec les constructeurs de voitures nouvelles générations » confie-t-il.
Transformer la voiture en salon
Pour lui, le futur de la radio n’est pas en danger. L’immédiateté, la gratuité et la facilité d’accès font de la radio un média incontournable. Mais pour éviter que les utilisateurs de voitures autonomes ne délaissent ce support médiatique au profit de la télévision ou de l’écrit, les stations de radio devront utiliser les multiples facettes que le son peut offrir. « Nous devons offrir une expérience audio proche de l’excellence, que l’utilisateur se sente dans son salon, avec un son spatialisé », détaille le chargé de l’innovation de Radio France. Pour Matthieu Beauval, le son a encore beaucoup d’avenir tant que la production de contenu est intéressante et que la qualité d’écoute qui enveloppe cette production est prodigieuse.
A Radio France, on imagine donc des prouesses techniques pour plonger l’auditeur en immersion dans les programmes, une sorte de « bulle » d’écoute. Une sorte de « 3D » du son. « Imaginez un reportage dans les rues de Syrie en pleine guerre », se projette-t-il. « Si le reporter a capté les sons avec un système de captation nouvelle génération, l’expérience sonore pourrait-être incroyable. L’auditeur serait complètement immergé. »
Le défi est non-négligeable mais la perspective de voitures connectées aux multiples possibilités stimule. « C’est assez excitant de voir tout ce que l’on va pouvoir réaliser avec ces nouveaux objets. » Plus que les potentielles menaces que font planer les voitures autonomes sur la radio, Matthieu Beauval préfère voir les nouvelles possibilités qu’offriront de tels véhicules. Outre la production de contenus immersifs évoqués plus haut, la géolocalisation est également une modalité importante de la « radio de demain ». Radio France imagine des notifications « push » générées en fonction de la position des auditeurs. On peut même penser à ce que des contenus soient proposés en fonction de la position des usagers. Ainsi, la géolocalisation serait au service d’une donnée primordiale pour la survie de la radio : la proximité. « Pour continuer à vivre, la radio doit jouer sur la singularité, notamment en proposant des programmes locaux », estime Matthieu Beauval.
Une nouvelle source de données
Le chargé de l’innovation de Radio France aborde aussi le sujet des données que permettront de récupérer cette « nouvelle forme d’objets connectés que sont les voitures autonomes ». Dans cette optique, il estime que le calcul des audiences radio pourrait se faire quotidiennement.