Robots rédacteurs : les journalistes du futur ?
Sport, économie, météo… Depuis plusieurs années, les articles de ces rédacteurs quelque peu particuliers ont vu le jour dans certaines rédactions. Une opportunité pour les médias de mobiliser leurs équipes sur l’essentiel. Mais ces algorithmes peuvent-ils remplacer les journalistes ?
Céline Legay
Ils sont apparus en 2014 aux États-Unis, via l’écriture d’une dépêche du Los Angeles Times. À coups d’algorithmes et de modèles préétablis, ces rédacteurs aux airs futuristes transforment les données en articles directement publiables par les médias. Utilisés par de nombreux médias américains, ces outils demeurent peu connus en France. Le site du Monde a sauté le pas en 2015, durant les élections départementales. Rapidement suivi par l’Express, les antennes de France Bleu ou encore Le Parisien.
Outre-atlantique, Associated press est l’une des principales rédactions utilisant des robots rédacteurs. « Dès les débuts de l’utilisation des robots dans les rédactions, les journalistes avaient peur », affirme Lisa Gibbs, co-dirigeante de l’agence de presse, en charge des stratégies numériques et de l’utilisation de l’intelligence artificielle. « Et ils continuent aujourd’hui à se méfier de la place que peuvent prendre ces nouveaux outils dans la profession. »
Davantage de temps pour l’investigation
Résultats sportifs, scores électoraux, bourse, météo… les articles écrits par ces «data-reporters portent principalement sur ce genre de contenus », précise Lisa Gibbs. Elle rajoute : « Pour l’instant cela s’arrête là, mais les technologies évolueront sûrement dans plusieurs années. Les algorithmes pourront peut-être davantage analyser l’actualité à l’aide de l’intelligence artificielle. » Et de plaisanter : « Dans 50 ans, ils remplaceront peut-être les journalistes ! » Le ton est humoristique mais révèle une crainte pourtant bien présente dans la profession. Face aux difficultés économiques rencontrées par bon nombre d’entreprises de presse, l’industrialisation de la production de contenus pourrait-elle réellement devenir l’une des réponses ? Impossible pour Lisa Gibbs, qui reprend son sérieux : « Les robots journalistes interviennent en complément. Ils ne pourront jamais remplacer les vrais journalistes. Ils apportent leur aide dans le sens où ils permettent de libérer du temps pour l’investigation et les articles à forte valeur ajoutée. »
Point de vue partagé par Gary Rogers, cofondateur de Urbs Media. Son entreprise représente un maillon important de la chaîne. Elle conçoit ces algorithmes, et vend les modèles d’articles aux rédactions. Cet outil ? Une « aide précieuse pour les médias puisqu’il n’y a pas assez de personnel dans les rédactions pour couvrir tous les événements », affirme-t-il. « Ces robots permettent aux journalistes de se concentrer sur les sujets importants, et de mieux organiser leur travail au quotidien. »
« Nous avons encore besoin des journalistes »
Des robots rédacteurs incapables de faire émerger des sujets à travers les données, de trouver des angles originaux ou bien encore de mettre en relief l’actualité. « C’est juste un outil, à l’instar d’internet », affirme Lisa Gibbs. Ces algorithmes sont destinés à réaliser ce pour quoi ils ont été programmés, dénués d’esprit critique et de sens de l’observation, ou bien encore de déduction. Pour la cadre d’AP, l’absence de ces compétences est significative : « C’est une bonne chose car cela prouve que nous avons encore besoin des journalistes. Aucune des nouvelles technologies n’est capable d’accomplir un travail journalistique professionnel. »
Pour Gary Rogers, d’ailleurs, les journalistes ont un rôle capital y compris vis-à-vis des robots, puisque ce sont eux qui remplissent les données permettant ensuite à ces cyber-rédacteurs d’écrire le papier final. « Se dire que les articles sont écrits par des robots peut paraître amusant mais ce ne sont pas eux qui collectent les informations », souligne-t-il. « Les algorithmes transforment seulement les données en texte. » Et jusque dans le rédactionnel, l’intervention du journaliste est nécessaire. Il établit lui-même une hiérarchie, en choisissant l’ordre des paragraphes du texte final. Il doit également renseigner au préalable le style d’écriture voulu en fonction du domaine traité ou de la ligne éditoriale. Dans ses modèles d’articles vendus aux différents médias, Urbs Media laisse le choix aux rédactions de révéler ou non l’origine de ces articles. Puis l’entrepreneur tempère : « Je ne pense pas que les gens soient prêts à comprendre que ce ne sont pas des vrais robots qui écrivent ces articles, et que les données sont renseignées en amont. »
Un système rigide
Côté français, le terme de robots journalistes est pour certains à prendre avec des pincettes. Erwann Gaucher, directeur du numérique à France Inter et ancien directeur adjoint de France Bleu, l’affirme : « Ce ne sont ni robots, ni de journalistes. Ce sont des algorithmes rédacteurs, c’est-à-dire un système rédigeant automatiquement des textes. Ceux-ci ne remplacent en aucun cas les journalistes. » La radio publique a eu recours à cette méthode aux dernières élections présidentielles et législatives.
L’objectif : accomplir un travail irréalisable par les journalistes en terme de temps et de moyens. « Or, on sait qu’un soir d’élections, l’une des premières attentes du public est de connaître non seulement le résultat global du vite, mais aussi le résultats détaillé dans sa ville, son département, dans la ville où est sa famille etc. », explique le directeur adjoint.
Mais pour Erwann Gaucher, il existe cependant des limites dans l’utilisation de ces nouveaux outils : un travail en amont conséquent pour les journalistes et la rigidité des logiciels. « Le système n’est pas souple et simple à mettre en place », soutient le directeur adjoint de France Bleu. Il voit cependant un élargissement dans l’utilisation des ces cyber-rédacteurs, comme aux États-Unis. Et plus encore. « Je pense qu’il y a également un domaine à explorer du côté des datas d’investigation », évoque Erwann Gaucher. Avec une question comme fil directeur : « Comment mettre au point un algorithme capable d’aider des équipes d’investigation pour explorer les énormes bases de données auxquelles ils peuvent avoir accès dans des dossiers comme les Panama Papers par exemple, afin de repérer plus efficacement les points que l’on recherche pour un traitement éditoriale par les journalistes ? » En attendant l’augmentation espérée des capacités de ces algorithmes, le journaliste humain a encore de beaux jours devant lui.