Les médias et Facebook, je t’aime moi non plus
Facebook a modifié son algorithme en début d’année, mettant en avant les échanges entre amis, au détriment des publications d’entreprises, marques et médias. Au motif de la lutte contre les fausses informations, cette décision du premier réseau social mondial nuit à la visibilité des médias. Pourtant, les deux parties le savent, elles ont besoin l’une de l’autre. Certains débats du Festival international du journalisme de Perugia l’illustrent à merveille.
Louise Klethi
« Il n’y a pas de secret, les changements opérés par Facebook ont fait chuter la visibilité de tous les contenus journalistiques. » Le constat de Mark Frankel, social média éditeur à la BBC est clair. Il ajoute : « La mise en avant des médias a diminué mais nous remarquons une hausse de l’engagement des utilisateurs. Moins de contenus sont visibles, mais ceux qui le sont suscitent plus de likes, commentaires et partages. » Le journaliste de la BBC estime que ce changement a un certain avantage : « Les articles mis en avant sont ceux qui intéressent le plus les utilisateurs. »
Une typologie de médias se dessine sur Facebook
Ces observations illustrent parfaitement l’objectif de Facebook. La hiérarchie du fil d’actualité a été modifiée pour mettre en avant les informations de qualité, à même d’alimenter un échange, un débat. Aron Pilhofer, de l’université américaine de Temple, spécialiste des transformations numériques, se montre plus dubitatif: « L’impact pour les médias existe mais il reste limité. »
Le titulaire de la chaire des médias émergents à Temple précise : « Les médias traditionnels, pour lesquels Facebook ne représente pas un enjeu décisif vont peu ressentir les conséquences du changement. Au contraire de ceux avec une véritable stratégie sur le réseau social aux deux milliards d’utilisateurs. Pour les seconds, les nouveaux paramètres de l’algorithme peuvent s’avérer dramatiques. »
Pour Nick Wrenn, responsable des partenariats de Facebook avec les médias en Europe, au Moyen-Orient et en Afrique, ces nouvelles règles font clairement apparaître les deux catégories de médias. D’un côté, ceux qui dépendent étroitement du trafic généré par le réseau social sont à présent obligés de payer pour faire sponsoriser leurs contenus, seul moyen d’assurer une visibilité dans les fils d’actualité. De l’autre les médias sans véritable objectif en termes de vues, moins présents en haut de la page Facebook mais qui continueront d’informer les utilisateurs abonnés à leur page.
Facebook à mi-chemin entre le réseau social et le journalisme
Ces changements donnent la possibilité à Facebok de valoriser ou non un média. Cette possible priorisation des contenus fait-elle apparaître une ligne éditoriale propre au réseau social ? Si la réponse est affirmative cela signifie que Facebook est un média. Mais tout en reconnaissant la pertinence de l’interrogation, Nick Wrenn réfute ce statut de média, au motif que « Facebook n’édite aucun contenu propre. »
Pour Mark Frankel de la BBC : « Le temps où Facebook pouvait se définir comme simple réseau social est dépassé. » Selon lui, dans la mesure où Facebook établit une hiérarchisation des contenus, il va au-delà son rôle de réseau social. En même temps, Mark Zuckerberg et ses employés refusent de se présenter comme un média. Et pour cause, ce statut a des contraintes auxquelles Facebook ne semble pas prêt à se soumettre. À savoir, selon Mark Frankel, plus de régulation et une intervention humaine plus conséquente.
Pour le journaliste anglais, Facebook va devoir prendre une décision : « Actuellement, le réseau est dans des logiques contradictoires d’expansion et de contrôle des contenus, raison pour laquelle il connaît tant de difficultés ces derniers temps. » Entre redevenir un réseau social et devenir un média, Mark Frankel envisage une troisième voie : « Le premier réseau social mondial pourrait faire le choix de déléguer la mission de contrôle aux médias existants pour les contenus publiés sur Facebook. ». De fait, Facebook soutient activement plusieurs initiatives journalistiques de cet ordre, notamment dans le domaine du fact-checking et de la lutte contre la désinformation.
Si déléguer totalement le rôle de contrôle semble difficilement concevable, le responsable de Facebook tient tout de même à préciser : « Ce changement ne vise pas à éloigner les médias de notre plateforme. Au contraire, les contenus journalistiques sont fondamentaux à nos yeux. Ils permettent d’avoir une communauté informée sur Facebook. » La communication entre Facebook et les médias semble décidément délicate, alors même que leur relation est déterminante pour l’état du paysage médiatique en ligne.