Comment les étudiants en école de journalisme sont-ils formés à l’intelligence artificielle ?
18 novembre 2025
À une ère où l’IA s’inscrit de plus en plus dans les usages, la question de son utilisation par les médias s’impose. Les élèves dans les écoles de journalisme reconnues s’y voient confrontés quotidiennement. En 2025, les quinze membres de la Conférence des écoles de journalisme (CEJ) ont validé ensemble une charte sur l’utilisation de l’IA. Des témoignages d’élèves permettent de mieux saisir les enjeux de ces mutations et la nécessité d’une formation à l’intelligence artificielle pour les journalistes de demain.
Depuis trois ans, les étudiants de l’école de journalisme de Sciences Po Paris reçoivent un cours sur l’IA. Evan y est étudiant en deuxième année. « Je pense que l’IA ça va être la même chose que la data : un prérequis », affirme-t-il. L’enjeu pour les étudiants n’est donc plus de savoir si l’IA sera utile, mais comment l’utiliser sans perdre leur valeur professionnelle.
L’IA est déjà largement utilisée par les étudiants eux-mêmes : certains arrivent avec des habitudes ancrées, d’autres se montrent méfiants pour des raisons environnementales. « C’est surtout sur eux qu’il faut se concentrer », estime-t-il, s’inquiétant que ceux qui contestent le recours à l’IA risquent de se retrouver en difficulté dans un métier en pleine mutation.
L’étudiant évoque deux séances introductives, puis un volet expérimental où les élèves devaient imaginer un POC (Proof of Concept) intégrant l’IA dans une perspective d’innovation éditoriale. David Dieudonné, chef de projet Intelligence Artificielle à Ouest-France, permet aux étudiants de manipuler, tester et comparer les outils. Une intervention appréciée, mais qui suscite l’envie d’aller plus loin : « Le format est très intéressant mais on devrait encore plus étendre la partie technique où l’on expérimente », estime Evan. Il évoque les zones grises qu’il aimerait voir plus développer par la formation : perte de compétences rédactionnelles, mauvaise sélection des sources, dégradation de la qualité éditoriale.
Une utilisation encadrée
À première vue, la maquette pédagogique de l’EJCAM ressemble à celle de nombreuses écoles de journalisme en France : aucun cours ne porte explicitement le nom d’« intelligence artificielle ». Pourtant, pour Louane, étudiante en deuxième année, l’IA est bien loin d’être absente dans le quotidien de la formation.
Dès le M1, les élèves suivent une semaine intensive de fact-checking durant laquelle l’IA est mobilisée pour analyser et vérifier la véracité de certaines informations. L’usage de ces outils n’est jamais interdit ; il est encadré. Les enseignants demandent aux élèves de signaler leur recours à l’IA, d’expliquer comment elle a été utilisée et quelles précautions ont été prises. Cette transparence est devenue une consigne méthodologique, que Louane applique également dans la rédaction de son mémoire.
Une spécialiste des nouvelles technologies numériques et de l’IA a rejoint cette année l’équipe enseignante de l’école. Elle pilote un cours intitulé « Presse et numérique », qui invite les étudiants à enquêter eux-mêmes sur l’impact de l’IA dans le secteur de la presse. Ce travail, concret et ancré dans l’actualité du métier, permet de saisir que l’IA ne se cantonne pas à un seul module : elle s’invite dans une multitude de cours (sociologie du journalisme, journalisme économique ou encore modules sur les nouveaux outils). À chaque fois, les étudiants apprennent à manipuler ces technologies dans une démarche réflexive et à développer de bons réflexes d’usage.

Usage et non-usage de l’IA
Ainsi, même sans un module dédié, les étudiants sont régulièrement confrontés à l’IA. Pour Louane, cette transversalité est un atout : « Il vaut mieux incorporer le sujet un peu dans chaque matière, pour comprendre que ça touche tous les sous-espaces du journalisme », explique-t-elle. Selon elle, un unique cours dédié à l’IA risquerait même d’être contre-productif : trop théorique, redondant, ou déconnecté des usages réels de la profession.
Elle confie cependant que l’IA est un sujet qui dépasse bien les Écoles. “Les professeurs ne peuvent pas tout contrôler et ça pose une vraie question de déontologie journalistique.” Des propos qui résonnent dans les expérimentations d’Evan : « J’ai déjà rédigé un article complet à l’IA. Personne ne s’en est rendu compte, mais ce n’est pas l’essence du métier ». Ce constat soulève un point sensible : les écoles doivent désormais former non seulement à l’usage, mais aussi au non-usage.
A. JOUBES, Y. QASMI, T. WOEHREL




