Le social media editor, un journaliste pas comme les autres
Guillaume Mégane
Qui se cache derrière les pages Facebook des médias ? Avec l’essor des réseaux sociaux, les rédactions des journaux ont dû apprendre à s’adapter à ces nouvelles plateformes de diffusion. Des personnes dédiées ont alors été affectées au développement et à la gestion de ces nouveaux outils.
« Social media editor » ou « social media manager », « journaliste social media », « community manager »… toutes ces appellations désignent les personnes responsables, au sein des médias, des publications sur les réseaux sociaux. Ils gèrent tout ce qui est posté par un média sur Facebook, Twitter, Instagram, etc. Mais la définition comme le nom de cette activité professionnelle demeurent flous. S’agit-il de journalistes ? De managers ? De communicants ?
« C’est la question qui reste en suspens. Quand j’ai commencé en 2009, on ne savait déjà pas comment on s’appelait : animateur de communauté, gestionnaire de communauté, community manager ou… journaliste. » Marie-Amélie Putallaz, aujourd’hui officiellement « journaliste social media » au Figaro, souligne l’absence de critères précis pour caractériser ces intermédiaires entre les journaux et les réseaux sociaux. Des compétences propres au journalisme, à la communication ou au management semblent être mobilisées selon qu’il s’agisse d’un poste de journaliste social media, social media editor ou social media manager.
Ces métiers sont encore récents, parfois fraîchement créés au sein des rédactions en réponse au développement et à l’influence grandissante des réseaux sociaux depuis les années 2000. Ainsi, les personnes affectées à la gestion de ces plateformes s’adaptent en permanence à un outil toujours en évolution. L’algorithme de Facebook, particulièrement mystérieux, évolue sans cesse. Il est ainsi compliqué de fixer des règles en matière de « social media editing », l’enjeu permanent est donc « d’être le plus connecté possible » assure Marie Amélie Putallaz. Les journalistes du Monde, par exemple, testent constamment différentes innovations techniques, et développent leurs pratiques au gré des possibilités laissées par les algorithmes des réseaux sociaux.
Une forte consonance journalistique
Que ce soit à Slate, au Monde, aux Echos, à Libération, ou au Figaro, des compétences journalistiques sont nécessaires pour être social media editor (SME) ou community manager (CM). Toutes ces personnes en charge des réseaux sociaux ont leurs cartes de presse, mais toutes n’ont pas été embauchées en tant que journaliste (comme aux Echos) – même s’il demeure toujours nécessaire d’avoir une sensibilité journalistique.
Dans tous les cas, ces « gestionnaires » des réseaux sociaux sont reliés à la rédaction et dialoguent avec elle. Au Monde, « on est journaliste avant tout », affirme Clément Martel qui fait partie d’une équipe de 3 personnes dédiée à la gestion des réseaux sociaux. Pour Marc Pédeau de Slate, le social media est finalement une « spécialité journalistique », c’est-à-dire une compétence supplémentaire pour un journaliste qui s’intéresse déjà au web et aux réseaux sociaux. Il s’agit alors dans ce cas de journalistes web qui entrent dans les rédactions grâce à leur compréhension des réseaux sociaux. Ce sont des personnalités « touche à tout », capables de s’intéresser – en plus de la rédaction de leurs articles – « à l’info sur mobile, à l’iconographie, à la titraille, au marketing, aux formats éditoriaux, etc. » À Libération, « on partage la journée entre ‘tenir les réseaux’ et écrire », explique Tristan Berteloot.
Les journalistes « social media » ont donc plusieurs tâches à mener de front : la publication des articles sur les réseaux sociaux, l’amélioration de la page Facebook et la mise en avant de son contenu, la gestion du live et parfois aussi celle des commentaires… Plus étonnant, ils s’occupent également de la formation des autres journalistes aux réseaux sociaux. Clément Martel (Le Monde) « apprend à (ses) collègues à se servir des réseaux sociaux pour qu’ils enrichissent leurs articles ». C’est aussi un « terrain de jeu » à exploiter selon Marie Putallaz (Le Figaro) : « des journalistes de la rédaction peuvent être appelés à tweeter ou à facebooker, c’est alors très important qu’ils puissent retrouver sur les réseaux sociaux la bonne photo, la bonne info. On vérifie qu’ils savent se servir des outils du web, qu’ils utilisent les bons hashtags par exemple ». Il est ainsi possible de récupérer de la matière éditoriale à partir des informations que les internautes postent ou recherchent sur les plateformes sociales.
L’ouverture au marketing
En s’intéressant au développement des médias sur les réseaux sociaux, les journalistes « social media » (ou SME) ouvrent un dialogue possible avec le marketing. L’audience considérable véhiculée par les réseaux sociaux – jusqu’à 35% du trafic pour un journal comme Libération – force les médias à soigner leur image de « marque » sur ces plateformes.
Au Figaro, il est bien compris que « les réseaux sociaux étaient un vecteur de trafic en perpétuel augmentation » et que les publications sur Facebook concernent donc aussi « l’image de marque » du journal. Chaque média tente de se démarquer et de proposer un contenu propre à sa ligne éditoriale qui pourra plaire aux lecteurs. Cette idée de satisfaire les internautes est au cœur des préoccupations du SME puisque, dans plusieurs rédactions, il a aussi un œil sur les chiffres.
Méryl Bisagni, social media manager aux Echos depuis 2013 explique qu’elle s’occupe à la fois de « l’éditing » (publication sur les réseaux sociaux) et du « marketing ». « Puisque je suis toute seule, j’englobe le community management et tout le reste. Je travaille beaucoup avec une personne au marketing, elle me donne les retours sur les audiences qu’on a faites quand j’en ai besoin. J’ai aussi des chiffres au quotidien avec l’outil social flow. » Si les statistiques Facebook sont une « nébuleuse » comme le rappelle Marc Pédeau (Slate), il est possible d’obtenir bon nombre d’informations sur la fréquentation des articles et sur le profil des lecteurs. Cet intérêt porté aux chiffres et ce vocabulaire directement emprunté au marketing, conduisent les médias à parler de « stratégie » sur les réseaux sociaux.
Certains journalistes « social media » accordent donc une grande importance à l’audience et peuvent adapter la « stratégie » du média sur les réseaux sociaux en fonction de ces retours. Par exemple, à Slate, Marc Pédeau explique comment il était « souvent le premier dans la rédaction à dire : ‘je crois que les lecteurs en ont suffisamment entendu parler, je commence à lire pas mal de retours négatifs sur ce sujet, les gens ont envie de passer à autre chose’. » Si cela ne constitue pas une ligne éditoriale en soi, « cela peut participer à la réflexion. » Tous les médias n’adaptent pas directement leurs contenus dès qu’un internaute estime qu’il en a suffisamment entendu parler ou que le sujet ne mérite pas d’être traité, mais il y a de véritables conséquences sur les pratiques des journalistes. Grâce à des outils de mesure comme Social Flow ou Echo box (qui optimisent la publication des articles suggérant le meilleur moment de publication), les journalistes essayent de toucher un maximum de lecteurs. C’est l’une des responsabilités du social media editor. Pour ne citer qu’un exemple parmi d’autres : les articles « abonnés » (donc payants) n’ayant pas de bons retours d’audience dans la plupart des médias ne sont plus postés sur les réseaux sociaux.
Les journalistes « social media » semblent ainsi se retrouver à la croisée de différentes activités professionnelles plus ou moins journalistiques. En fonction des médias et de leur ligne éditoriale, leur travail sera plus ou moins lié au marketing. Mais l’importance accordée à la « stratégie » sur les réseaux sociaux prouve que les « SME » ne sont pas des journalistes comme les autres.